Devine qui vient dîner ce soir ? Obama

L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible.”

Paul Klee

 

A ceux qui estiment que le cinéma, et plus généralement l’art, ne servent à rien, sinon de divertissement, il sera toujours tentant de mettre dans les dents (pour rester poli) le DVD du film Devine qui vient dîner ce soir ? réalisé par Stanley Kramer en 1967. En effet, il n’est pas interdit de parler de prémonition dans cette histoire de bobos de San Francisco, lui (Spencer Tracy) propriétaire d’un journal influent, elle (Katherine Hepburn, peut-être la plus grande comédienne de l’histoire du cinéma), propriétaire d’une galerie d’art, dont les principes se heurtent à la réalité lorsque leur jolie fille unique leur présente celui qu’elle aime et désire épouser plus que tout, Sidney Poitier (qui est noir).

Il fallait toute l’élégance et l’immense talent de Sidney Poitier pour tenir tête à ses futurs beaux-parents, immenses comédiens, et soutenir sans craindre le ridicule (à l’époque, le mariage entre Blancs et Noirs est interdit dans plusieurs Etats américains) que sa compagne souhaiterait que leurs enfants deviennent présidents des Etats-Unis, alors qu’il se contenterait pour sa part qu’ils soient Secrétaires d’Etat.

Deux ans plus tard, Martin Luther King était assassiné, mais 40 ans plus tard, Barack Obama est en passe d’être élu premier président noir et métisse des Etats-Unis, né d’un père Kenyan et d’une mère Américaine qui épousa en seconde noce un Philippin. Les sondages créditent le démocrate de dix ans d’avance sur son adversaire républicain, qui a certes eu la bonne idée de déclarer qu’il ne verrait pas d’un mauvais oeil que les Etats-Unis soient encore en Irak dans un siècle.

Si la fonction de l’art relève du dévoilement, alors Stendhal nous apprit qu’une femme pouvait se cultiver (Le rouge et le noir, 1830, première femme décrite dans une bibliothèque), Baudelaire et Flaubert qu’elles éprouvaient au moins autant de désir que les hommes (Les fleurs du mal et Madame Bovary, 1857), Proust que les nerveux sont le sel de la terre (A la recherche du temps perdu), Godard que toute image est un mensonge, Gainsbourg que le langage est un jeu, et il faut rendre à Kramer d’avoir vu le soleil se lever pour l’affirmation des noirs à l’égalité avec les blancs. Angela Davies, ex-leader des Black Panthers (avec lequel mon ami Gérard Mesguich affirme avoir dansé à Alger dans les années 70), remerciait Sidney Poitier d’avoir expliqué que l’affirmation des noirs sur la scène publique passerait par la conquête de la culture populaire. Nous saurons cet automne si la prophétie de Devine qui vient dîner… était réalisable.