
Voir Nashville, c’est surtout constater à quel point un film doit être à la fois politique et apolitique, c’est-à-dire ancré dans le lieu de son époque, ici des groupes de country de toutes générations et tous bords politiques approchés par un conseiller en politique pour ouvrir une convention républicaine, mais aussi apolitique, c’est-à-dire ne pas oublier que le spectateur ne vient pas au cinéma mettre un bulletin dans l’urne et qu’il doit donner des raisons à chacun de ses personnages.
La galerie de Nashville est suffisamment antipathique pour dresser un portrait misanthropique de l’ère du cirque médiatique : vedettes de country démagogues (“il doit y avoir quelque chose de bon dans notre famille car nous sommes Américains depuis deux cents ans”), conseillers politiques méprisant envers le peuple, chanteuse dépourvue de talent obligée d’effectuer un strip-tease pour sauver une soirée minable de levée de fonds, chanteur noir de country accusé de collaborer avec les blancs, étudiant solitaire en quête de meurtre de son idole, etc.
Robert Altman a détourné les mythologies américaines (film de guerre avec MASH, western avec John McCabe, polar avec Le privé, musique country dans Nashville) pour représenter l’Occident comme un cirque permanent qui écrase l’innocence sous un discours moralisateur et viril. Le seul équivalent en France d’un cinéma d’une telle puissance esthétique et politique est Jean Renoir qui s’est plongé dans les mythologies constitutives de notre pays. La vision de Nashville est un recueillement face aux sources du cinéma politique et choral, une alerte face aux dérives permanentes de la politique-spectacle, une invitation lumineuse à un cinéma de la colère et de la joie.