D’un compositeur fasciné par les Lumières, Shani Diluka et Valentin Erben qui avec le quatuor Alban Berg, vendit à une époque des enregistrements du même par millions, se sont attachés au dialogue entre l’instrument qui tire son nom de jouer plus doucement (piano) que le clavecin et d’exalter les épanchements d’âme du romantisme naissant, et l’instrument le plus proche du timbre de la voix humaine, le violoncelle.
“Je vais chanter les êtres et les corps qui ont été revêtus de formes nouvelles, et qui ont subi des changements divers. Dieux, auteurs de ces métamorphoses, favorisez mes chants lorsqu’ils retraceront sans interruption la suite de tant de merveilles depuis les premiers âges du monde jusqu’à nos jours”, cite Shani Diluka des Métamorphoses d’Ovide, dont elle écrit : “Ovide considérait le monde mu de métamorphoses, celles qui fascinèrent Beethoven. Un modne où la structure, le cosmos, les âmes terriennes et spirituelles se frayent un chemin pour s’élever au-dessus des turpitudes humaines”.
Ce disque bouleversant joue des métamorphoses du temps (Valentin Erben joue le violoncelle Goffriller conçu en 1720) et de l’espace par l’histoire des deux interprètes, du classicisme poétique viennois du violoncelliste au panthéisme assumé de la pianiste. Leur histoire ne les rend pas dupes de la guignolerie napoléonienne, qui sous prétexte de Concerto Empereur, pèse sur tant d’enregistrements de Beethoven.
Les interprètes s’attachent à la naissance d’un art en ouvrant sur les Sonates pour violoncelle et piano op. 5 de 1797 qui furent les premières à faire dialoguer les deux instruments. Valentin Erben décrit dans le livret la filiation de Bach, Haendel et Mozart à Beethoven inspirateur de Schubert et Wagner qui s’émouvait de “la mélodie de cet homme bon”. Les variations sur deux airs de La flûte enchantée, “une fille ou une femme” et “du côté des hommes qui ressentent l’amour”, traduisent l’impact considérable du compositeur germano-autrichien sur le mouvement romantique, exaltation du moi et de l’amour qui court jusqu’à nous. La musique de Beethoven s’associe au mouvement de l’histoire et aux espérances de son temps. Shani Diluka et Valentin Erben font dialoguer leurs instruments, après dix ans d’aventure commune et de concerts, autour de “l’hésitation entre son et pensée, entre avenir et souvenir” (Apollinaire, Vitam impendere amori).
Cette exaltation de l’amour courtois par deux interprètes et un homme aussi solitaire est l’un des plus beaux saluts fraternels adressés aux générations futures par des artistes. Puisse le XXIe siècle être digne de Ludwig qui rêvait sur la tombe de son frère d’un saule pleureur ou d’un acacia.
Oeuvre complète pour piano et violon de Beethoven, Mirare, 2 CD.