C’est un grand film sur une obstination : imposer une nouvelle vision de la courbe, des bourgeois de Calais contre les Calaisiens, de Balzac le ventre rempli de 2 500 personnages sculpté à partir d’une femme enceinte contre les admirateurs de l’écrivain commanditaires de l’oeuvre, de Victor Hugo contre l’avis de l’écrivain, de ses nus féminins tordus par l’extase pour la première fois sans métaphore…
Jacques Doillon bénéficie d’un Vincent Lindon transfiguré par ce rôle d’artiste amateur de courbes féminines et de sentiments radicaux en art : Dante devenu le Penseur pour sa porte de l’enfer, Balzac, Hugo, Camille Claudel en élève dépassant le maître dans certaines de ses oeuvres, puis rongée par le manque de reconnaissance de son oeuvre, jusqu’à la paranoïa…
Le cinéaste vieillissant s’offre un beau défilé de modèles offrant leurs désirs et leurs formes au plus célèbre sculpteur français à la tâche du plâtre dans le film de Rodin puisque nous ne verrons pas le travail sur le bronze. L’atelier est filmé comme une toile de fond de l’artiste au travail agité par l’idée d’imposer son idée au siècle dans le compagnonnage de Monet dont il affirme qu’il lui a appris la lumière ou de Cézanne qu’il encourage à persévérer sans écouter les bouffeurs d’espoir qui condamnés à mordre la poussière.
Rodin est filmé à la recherche d’un “touché pur du réel” (Badiou), d’une vérité des corps irréductible à toute subjectivité : il impose l’image de Balzac plus puissante que toute photographie de l’écrivain, de la dignité des humiliés du monde entier avec ses Bourgeois de Calais, des contorsions du désir avec ses variations obsessionnelles sur les seins, les fesses, les vulves… Doillon signe l’un de ses plus beaux films en décrivant l’artiste en forçat de la vérité.