Filmer le travail cérébral (construction et classement des souvenirs, déclenchement et contrôle des émotions, désir de reconnaissance) de l’être parlant dans un film pour enfant, telle est la gageure des équipes de Peter Docter avec Vice-versa, qui raconte l’aventure des émotions (joie, tristesse, colère…) d’une pré-ado égarée par le déménagement de ses parents du Minnesota à San Francisco.
Peu importe ce que l’enfant spectateur capte réellement dans cette mise en abîme de l’angoisse de grandir, le grand thème du studio Pixar où il s’agit toujours de grandir en transformant une mélancolie (une solitude liée au fait d’être un enfant doué de pouvoir, un rat, un veuf… ici une ado submergée par ses émotions) en atout pour trouver une place solaire dans le monde. Le mien de fils a surtout retenu le court-métrage préliminaire qui raconte une sage histoire d’amour entre deux volcans, mais il aura voyagé dans une histoire qui traverse le subconscient, la mémoire, le refoulement et la construction des pensées abstraites.
Dans Vice-versa, Joie et tristesse sont dans le même bateau de l’angoisse de la petite Riley face à l’impératif de grandir. Le scénario combine habilement les deux émotions pour permettre à la jeune fille d’accepter de transformer le passé en souvenir susceptible d’être convoqué pour nourrir et accompagner le présent.
Pete Docter réussit le tour de force de dresser le portrait d’une mélancolique contemporaine qui selon Giorgio Agamben, comme l’ange méditatif d’Albrecht Dürer, “est l’emblème de l’homme tentant, à l’extrême du risque psychique, de donner corps à ses fantasmes et de maîtriser par une pratique artistique ce qui autrement ne pourrait être ni saisi ni connu.”