Il faudra donc me mettre à l’école de Germaine Krull (1897-1985) puisque je tourne demain matin pour la première fois depuis de trop longs mois et qu’il faut aller chercher le sens de la photographie en mouvement de l’artiste allemande exilée par le nazisme, fondatrice d’un service de propagande photographique à Brazzaville pour les Alliés, photographe de la bataille d’Alsace, puis lointaine expatriée amoureuse des plaisirs thaïs et indiens avant de passer ses dernières années en Allemagne.
“Que nul n’entre ici s’il n’est chorégraphe” aurait pu dire Germaine Krull pour paraphraser Cartier-Bresson, elle dont l’autobiographie s’intitule La vie mène la danse. La rétrospective organisée par le Jeu de Paume met l’accent sur ses premiers nus audacieux, ses séries sur la métallisation de la ville au XXe siècle, ses publicités, son goût pour Paris, les bagnoles, les femmes (notamment pour le premier roman photographique, La Folle d’Itteville de Simenon), les mains à pleine bouche des portraits de Jean Cocteau et André Malraux et ses paradis extrême-orientaux.
Germaine Krull utilisait les flous et les surimpressions pour imprimer la vie plutôt que la beauté sur la pellicule à ses modèles et les faire sortir du cadre. Le Jeu de Paume poursuit son travail de mise en valeur des grandes photographes du XXe siècle et encourager une histoire de la photographie féminine soucieuse au XXe siècle de représenter la condition des femmes et des rapports sociaux de leur époque. Puisqu’il n’existe pas de plus belle invite philosophique que l’étonnement de Spinoza devant le fait que “nul ne sait ce que peut le corps”, Germaine Krull invite l’artiste à chorégraphier chaque corps cadré.
Germaine Krull au Jeu de Paume, jusqu’au 27 septembre 2015. Exposition simultanée de l’oeuvre de Valérie Jouve Corps en résistance, qui capte les les corps contemporains qui vivent dans des zones qui les privent de paysage.