C’est sous des allures pop que se présente le dernier film des Dardenne, sur un air de Petula Clark et une nouvelle performance éclatante de la plus célèbre comédienne française contemporaine, Marion Cotillard. Une fois passée la surprise d’entendre la star demander à ses collègues de renoncer à 1 000 euros de prime pour qu’elle conserve son emploi dans une entreprise de panneaux solaires, nous sommes dans la ritournelle bien connue des frères belges : les rives de Liège, des corps-prolétaires cognés par la barbarie, soulevés hors de l’eau par l’altérité.
Sandra avance courbée par le poids de la dépression et de l’humiliation de demander l’impossible à chaque collègue qui se réfugie dans sa peur, ses problèmes, sa lâcheté ou se sublime tout d’un coup, bouleversé par le visage de la jeune femme, la honte ou l’impératif moral consistant à ne pas faire ce que l’on redoute que les autres nous fassent. Le cinéma austère des frères Dardenne s’habille un peu, de décors en musique pop avec La nuit n’en finit plus et Gloria, et c’est tant mieux pour ouvrir cette oeuvre importante à un plus grand public qui n’a souvent droit pour le cinéma français qu’à une peinture des bourgeois et des beaufs.
Le scénario reprend la mécanique des 12 hommes en colère où Henry Fonda refaisait l’enquête qui criait l’injustice pour retourner un à un les onze autres jurés prêts à condamner sans remords un pauvre fils d’immigré. C’était bien sûr le film d’un pays qui se rêve justice dans toute sa filmographie, quand l’Europe s’accroche à la très ancienne notion héritée des Grecs et des Juifs d’être humain, le Mensch en allemand et en yiddish, qui résonne d’autant plus fort à l’heure des bruits de botte.