Nous l’appellerons Jacques, commercial et fin lettré, amateur de Balzac, Baudelaire et Simenon pour sa capacité à capter l’engagement total de l’homme moderne dans des petites aventures qui entraînent sa chute. Je fais mon intellectuel en exprimant mon admiration pour le roman de Simenon Les Pitard dont Céline disait qu’on “devrait en parler tous les jours”. Jacques hoche la tête en précisant qu’il était peu probable que je sois un jour confronté à des histoires aussi tordues que Les Pitard, mais que j’entretiendrais probablement comme tout homme une certain relation avec le désir d’adultère.
La chambre bleue de Simenon est un paradigme du genre du roman d’amour et de désir. Une folle passion unit dans l’adaptation du roman par Mathieu Amalric et Stéphanie Cléau (également interprètes des rôles principaux), la pharmacienne au directeur d’une concession de machines agricoles, dans une petite ville de province, décor élevé à un niveau mythologique par Simenon. L’homme est arrêté après la mort de sa femme (Léa Drucker) par empoisonnement. La gendarmerie (le formidable metteur en scène Serge Bozon) et le juge (l’excellent comédien de théâtre Laurent Poitrenaud) recomposent le puzzle jusqu’à l’erreur judiciaire.
Le jeu de Cluedo ne compte pas plus ici que l’oscillation classique dans le cinéma français entre le devenir maîtresse de la femme et le devenir femme de la maîtresse. La grandeur du film se passe dans la chambre bleue du titre, lieu d’une folle passion érotique et intellectuelle entre les comédiens en couple à la ville, Mathieu Amalric et Stéphanie Cléau. L’histoire est moderne par sa manière de confronter un homme castré à une femme amoureuse prête à tout pour faire vivre son amour. La photographie de Christophe Beaucarne capte des teintes crépusculaires au début de l’histoire du couple en souvenir des folles passions des héros de Douglas Sirk, et un érotisme naturel de femme épanouie, amoureuse des mains, de la bouche et du sexe de son homme. De toutes les manières de traverser une vie à deux en quête d’une impossible fusion, La chambre bleue dresse le portrait romantique d’une esthétique de l’amour seule à même de triompher des ricanements et ravages du temps.