C’est l’histoire d’un pied-noir marseillais (magistral Tchéky Karyo) persuadé que la douleur de sa famille sans terre équivaut à celle de sa femme algérienne sans père (l’extraordinaire Hiam Abbass, l’une des plus grandes comédiennes contemporaines).
De guerre lasse est le film contemporain le plus ambitieux sur le passé qui ne passe pas entre la France et l’Algérie, au point d’être au centre de l’histoire de la dynastie politicienne française qui agite la haine depuis cinquante ans en s’adaptant aux peurs de l’électorat, et de l’histoire de millions de citoyens français, de l’ex-star du football personnalité française la plus connue dans le monde à tous ceux qui fraient leur chemin entre leurs racines et une histoire à écrire sur place. Un ancien légionnaire démissionnaire (Jalil Lespert) arrive à Marseille pour régler ses affaires avant d’embarquer pour l’Algérie. Il est poursuivi par la mafia corse dont il a tué un membre quatre ans plus tôt. Son demi-frère Rachid trafique avec les Corses qu’il cherche à doubler. Sa demi-soeur dont il est amoureux (l’émouvante Sabrina Ouazani de L’esquive) a emprunté l’ascenseur social pour devenir avocate.
Imprégné par la mythologie du film noir et du nouvel Hollywood de Coppola et Scorsese, Panchot filme un mort-vivant pourchassé par ses fantômes d’Afghanistan, Jalil Lespert en grande forme, qui n’hésite pas à prendre des rôles difficiles comme le journaliste impuissant face au génocide des Tutsis dans Lignes de front. La musique d’Eric Neveux enveloppe cette histoire tribale sur le cycle de la haine entre les pieds-noirs qui pleurent la terre perdue et les fils et petits-fils d’Algérie qui pleurent la douleur de leurs pères tués et torturés durant la guerre d’indépendance de ce pays. On retrouve dans De guerre lasse la douleur lancinante des fils sans père qui ont écrit l’histoire de l’Algérie depuis près de deux siècles, soldats envoyés pour soumettre le pays en 1830, cadets de familles agricoles chassés de la terre promise aux aînés, Alsaciens restés fidèles à la France après 1870, mais envoyés sommairement en Algérie pour poursuivre l’oeuvre coloniale, Algériens orphelins de la guerre et de la colonisation, puis de leur père émigré en France…
Panchot fait le choix d’une réconciliation qui passe par la possibilité pour les enfants de pieds-noirs de fouler la terre d’Algérie et celle des enfants d’Algériens de se trouver un père en France. Cette fin trop belle pour être vraie n’en est pas moins la plus belle salve d’avenir filmée sur le sujet.