L’air du temps de Micaël : fuis, mon frère, les esprits désertiques

Une passagère du métro hurle qu’elle aperçoit le “bonheur” par la fenêtre, un cadre assis sur la fenêtre d’un gratte-ciel se voit féliciter de prendre une initiative, une femme torse nu après l’amour déclare en fumant son dégoût de la passivité de son homme…

Le désert humain décrit par le dessinateur et caricaturiste Micaël Queiroz dans son deuxième ouvrage, L’air du temps, le hisse au niveau des grandes plumes de l’absurde d’Alphonse Allais à Sempé et Voutch. On pense à la puissance du Combat de nègres dans une cave pendant la nuit peint par Allais en 1897 (un tableau monochrome noir peint 18 ans avant le Carré noir de Malévitch) dans le Franafrique de Micaël (un couple de touristes occidentaux photographie parmi des enfants africains le petit métisse laissé par Tintin lors de ses escapades…) qui dresse sans commentaire le portrait de la violence du colonialisme.
Dans le chapitre “Au pouvoir”, L’air du temps traite du cirque politique et de la vacuité d’un monde où pour paraphraser Nietzsche, “après un siècle de communication, tous les mots se sont mis à puer” (“soyez créatifs”, leadership, porte-parole…). Ses dessins au trait fin, noir et blanc ou à la gouache, s’aventurent dans les domaines envahis par la gestion de la vie : la visite de peuples exotiques auxquels les guides recommandent de parler en vacances, les heures chronométrées sur la plage, la télé à éteindre pour faire un enfant…
Ode à la fraternité, L’air du temps dresse la liste des esprits désertiques à fuir au plus vite pour renouer avec la chance d’être en vie. Fils de psychanalystes âgé de 32 ans, installé depuis douze ans en France après avoir grandi en Argentine, Micaël a fait de son art une critique subversive de notre société et un étonnement devant les formidables et tenaces capacités de dévoilement de l’oeuvre d’art. “Ah, voilà un film qui donne envie de savoir ce que la critique en a pensé !” déclare l’un de ses personnages, guilleret, en sortant du cinéma à la fin de son ouvrage. Gloire aux veilleurs intranquilles qui nous préservent du “on qui étend progressivement sa dictature”.

L’air du temps de Micaël, Les cahiers dessinés, 176 pages.

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