Ce sont des jeunes gens beaucoup plus inquiétants que les habituels terroristes djihadistes que filme Kelly Reichardt : ils appartiennent à la communauté dominante et montent un plan pour faire sauter un barrage électrique, afin que « les gens commencent à penser ». Un militant écologiste (Jesse Eisenberg, ex-autiste créateur du plus grand réseau social du monde), une fille de la bourgeoisie qui rêve d’un meilleur monde (Dakota Fanning, ex-enfant star de La Guerre des Mondes) et un ancien marine désabusé se prennent à leur jeu de bombe et de paranoïa.
La nuit remue écrivait Michaux, la nuit de Kelly Reichardt bouge ses lignes, absorbant son lot de déçus d’un monde où les grandes idéologies se sont abîmées dans un bain de sang, et le centre promet un éternel retour du prêt immobilier. La cinéaste s’amuse à suivre ses personnages jouer leur mission impossible de manière ultra-réaliste : acheter de l’engrais pour la bombe, utiliser de faux papiers, repérer les routes les plus calmes…
Une fois le barrage explosé, l’épopée fragile tourne au désastre lorsque les apprentis terroristes apprennent la mort d’un campeur à la suite de l’explosion. Kelly Reichardt, qui avait ébloui avec un western ultra-réaliste, La dernière piste, où elle pointait la fraternité de la femme blanche et de l’indien, est ici piégée par sa volonté affichée de “ne pas avoir de solution politique”, puisque la punition de ses personnages est bien une manière de leur définir une trajectoire politique. Comme disait Héraclite voici 2 600 ans (j’aime citer Héraclite à Pâques) : “le maître dont l’oracle est celui de Delphes ne dit ni ne cache mais donne des signes”. L’artiste fait signe vers de nouvelles manières de vivre non absorbables par le système qui l’environne.