L’Anglaise et le Duc d’Eric Rohmer mise à nu par ses créateurs

Avoir la chance de voir L’Anglaise et le Duc, le film le plus ambitieux d’Eric Rohmer, commenté par le peintre Jean-Baptiste Marot et la productrice du film, Françoise Etchegaray, en compagnie des auteurs de la biographie d’Eric Rohmer, Antoine de Baecque et Noël Herpe, au Champo, est un luxe qui ne se refuse pas.

Le peintre est venu présenter des reproductions de quelques-uns des 36 tableaux à l’huile de format “télévision 16/9e” qu’il réalisa durant un an et demi (‘on m’a ôté les pinceaux quelques heures avant le tournage, alors que les toiles n’étaient pas sèches”) pour servir de décor aux scènes extérieures du film tourné en 2001, alors que la technologie d’incrustation de personnages dans un décor virtuel était balbutiante. Il a composé en s’inspirant des tableaux de l’époque et des travaux d’historiens sur les bâtiments et les rues de Paris, un inoubliable paysage du Paris révolutionnaire (rue de Miromesnil sur laquelle s’achevait Paris à l’époque, Place Louis XV devenue de la Concorde, Eglise Saint-Roch…).

La productrice Françoise Etchegaray est revenue sur la genèse du film, liée à la curiosité du cinéaste pour les techniques d’incrustation qu’il expérimente lors du tournage d’un clip avec Arielle Dombasle, et à la lecture d’un article dHistoria sur les mémoires de Grace Elliott, une courtisane royaliste, maîtresse du Prince de Galles, futur Georges IV, et du Duc d’Orléans en France, qui a traversé la Révolution Française tout en soutenant la Monarchie, se faisant arrêter pour une lettre écrite par un Anglais, avant d’être libérée et de finir ses jours en France, entretenue par le Maire de Ville d’Avray.

Aux remarques malicieuses d’Antoine de Baecque sur l’expression du conservatisme politique du cinéaste dans le film, Françoise Etchegaray rétorque qu’Eric Rohmer n’a jamais pris de parti public en matière de politique, et qu’il voulait faire un film sur la Révolution différent du point de vue habituel qui prenait le parti des Révolutionnaires : “Ce n’est pas la peine de faire un film que Griffith et Renoir (La Marseillaise) ont fait mieux que moi”. C’est peu dire que le récit épouse la cause de la monarchie, présentant le monde de l’aristocratie comme celui de la beauté et de l’élégance, et le peuple comme un ramassis de bouseux violents et concupiscents, rêvant de guillotine, de cuisse d’aristocrate, de décapitation et de tribunal expéditif. La mise en scène de certaines scènes semble tellement inspirée des crimes commis au XXe siècle au nom de la révolution qu’elle rappelle la remarque de l’historien Jean-Clément Martin à un jeune homme qui insistait sur les viols commis par l’armée républicaine à la fin du XVIIIe siècle :”La Révolution Française, ce n’est tout de même pas la guerre en Bosnie”.

Il reste un document exceptionnel, dernier succès du cinéaste qui rêvait à 80 ans d’un tournage à la Griffith. L’Anglaise et le duc reçut des critiques dithyrambiques dans le monde entier, dont le Los Angeles Times qui titra au sujet des effets spéciaux “better than Lucas and Spielberg : Rohmer“. La technologie numérique encore balbutiante blanchit les peaux et transforme les ombres en taches, mais ce portrait haut en couleur, comme toujours chez Rohmer d’une femme amoureuse et déterminée révoltée par la lâcheté des hommes, portée par une grande Lucy Russell, face à des hommes écartelés entre raison et sentiments, porte bien sur la naissance d’un nouveau monde.

Intégrale Eric Rohmer au Champo, jusqu’au 14 janvier 2014

Le samedi 11 janvier, débat entre Noël Herpe et Virginie Thévenet suivi de la projection du film LES NUITS DE LA PLEINE LUNE 1984 1h42

Le mardi 14 janvier, Débat mené par Antoine de Baecque avec Andy Gillet et Serge Renko précédé de la projection du film LES AMOURS D’ASTREE ET CELADON 2007 1h49

Biographie d’Eric Rohmer, par Antoine de Baecque et Noël Herpe, Editions Stock, 604 pages.

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