Nymph()maniac (vol.1) : grandeur et misère de la von Trieb (pulsion)

Ingmar Bergman, l’idole de Lars von Trier, confesse dans son autobiographie avoir levé le bras droit avec beaucoup de passion lors d’un discours d’Adolf Hitler, alors qu’il passait une année d’étude en Allemagne durant les années 30. Cinquante ans plus tard, il offrait dans son plus beau film, Fanny et Alexandre, le rôle du sauveur des enfants séquestrés par leur père pervers, à un juif, l’amant de leur grand-mère. Lars von Trier a exprimé son admiration pour Hitler et l’esthétique du troisième Reich en conférence de presse à Cannes en 2011. Deux ans plus tard, il offre à Stellan Skarsgard, acteur fétiche de Breaking the waves à Melancholia (à notre goût ses meilleurs films), le rôle d’un juif qui héberge une nymphomane (Joe, interprétée par Charlotte Gainsbourg), dont il recueille les confessions. Fin de la polémique ? C’est trop en demander au cinéaste danois qui à trop chercher la provocation, en oublie de faire un film.

Il faut supporter un début assez ridicule, mettant en parallèle la passion d’une femme pour le sexe des hommes, et la pêche à la mouche pratiquée par le confesseur-psy-rabbin laïc, et quelques considérations banales sur la manière dont les homo sapiens se coupent les ongles, avant de retrouver le talent du cinéaste pour la mise en scène du sordide couvert du nom de civilisation. La jeune femme retrouve pour son premier emploi, l’homme qui l’a dépucelé (Shia LaBeouf), lui faire visiter les lieux en lui expliquant qu’il faut féliciter les salariés plutôt que de les saluer (“Good Job Liz”), avant d’essayer de la prendre dans l’ascenseur.

Un peu plus tard dans le film, lors d’une autre scène dont Lars von Trier a le secret, Uma Thurman dérange la passion de la jeune femme en débarquant avec ses enfants, alors que son homme vient de la quitter pour l’héroïne du film. En quelques plans sur la douleur d’une femme et le désarroi des enfants face à leurs parents qui se déchirent, Lars von Trier compose un impitoyable portrait du couple et des désirs adjacents qui perturbent sa “normalité”.

Enfin, le cinéaste filme en triple écran la version de la polyphonie par l’héroïne, suivant les trois lignes musicales du Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ de Bach, soit l’homme qui cherche le plaisir de Joe, l’homme qui la domine et l’homme qu’elle aime, mais qui ne la fait pas jouir. Il est curieusement assez peu question dans Nymph()maniac du fait que le plaisir féminin est plus mystérieux que le plaisir masculin, dans cette histoire tournée autour de l’avoir (des amants, des pénis…). Il faut sans doute voir le film comme un autoportrait du cinéaste, en se rappelant Daniel Arasse commentant le Vulcain, Mars et Vénus du Parmigianino, et son Vulcain en érection, fait rarissime dans la peinture de la Renaissance, qui associait la création artistique à la pulsion sexuelle. Le second volume de Nymph()maniac ne soulèvera pas les doutes sur la fragilité du film, mais il permettra peut-être de constater qui de l’artiste ou du provocateur a pris le dessus.

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