Pop Yoga de Pacôme Thiellement : la pop plutôt que le néant

Pacôme Thiellement est un homme que j’ai rencontré alors que je feuilletais Calinours, à la recherche d’un cadeau pour un enfant de deux ans, au milieu de la bande à part de La Malle aux histoires. L’avenir nous dira si cette rencontre est promise à un avenir aussi lumineux que Keith Richards reconnaissant Mick Jagger comme l’un des siens au disque de Chuck Berry qu’il tenait dans la main.

L’écrivain cinéaste à l’air de Jeff Bridges dans The Big Lebowski a nié être l’auteur de la bande dessinée pour enfant. Il assume néanmoins les 42 articles de diverses origines (pour la revue Rock and folk, des conférences au Forum des images, au Palais de Tokyo…) réunis par Sonatine pour célébrer la manière dont l’art pop permet d’atteindre ce qu’il appelle la gnose, du grec gnosis “connaissance”, Savoir qui regroupe tous les savoirs. Il décrit cette expérience ultime de l’artiste, plutôt que comme “la plus grande tristesse pour se connaître soi-même avant de mourir” dont parle Céline, qui mène au fascisme (Céline donc, Heidegger, Drieu la Rochelle, Ezra Pound…) ou au suicide (Thiellement consacre certains de ses plus beaux textes aux suicidés de l’art : Marilyn, Cobain, Amy Winehouse, Ian Curtis…), comme l’élément constitutif de la culture pop : “la culture pop est la construction d’un miroir à la civilisation : un monde miroir où ce qui est absurde et insignifiant dans l’existence se transforme en non-sens consolateur, en non-sens bénéfique. Mais c’est aussi la tentative de faire émerger ce monde miroir depuis notre monde, la tentative de transformer notre quotidien pour qu’il dégage à son tour cette qualité consolatrice et bénéfique”.

La critique est fille de Moïse et de Montaigne, surtout en France où l’on reconnaît le grand critique (Truffaut, Godard, Daney, Pauline Kael, la plus francophile des critiques américaines, Susan Sontag…) à l’art du bon mot. Alors de quelles voix le critique est-il le prophète ? Thiellement célèbre principalement les artistes pop anglo-saxons parce qu’ils ont inventé la “parole féminine libérée de Molly qui vient dire la vérité sur ces imbéciles d’hommes. Et sur ces imbéciles de femmes par la même occasion” (à propos d’Ulysse de James Joyce), qu’ils “accomplissent la pursuit of happiness sans avoir à la promettre” (The Beatles), qu’ils ont inventé la “sculpture de soi comme condition du bonheur” (Elvis Presley, Marilyn, James Dean, Madonna…), la “berceuse cruelle, la jolie chanson triste pleine d’horreurs” (The Velvet Underground), le film qui “se pense comme hypothèse extraterrestre (Kubrick et 2001), et celui qui “décrit le monde sordidement gentil auquel il nous faudra sordidement faire face, et toute la perversité qui nous sera nécessaire pour détecter les forces en présence (David Lynch et Blue Velvet).

“Il faut cesser de mourir avant 28 ans” écrit l’auteur qui clôt son ouvrage par un très bel article sur Marilyn, dissimulant sa douleur de ne pas pouvoir avoir d’enfants par le rêve qu’un autre monde lui est promis. Thiellement prend acte de la fin du “destin collectif de la musique pop”, deux amis pouvant délirer sur des groupes de musique ou des films très différents, et célèbre la condition d’artiste (“organiser le pessimisme”) qui permettrait de “se retrouver collectivement sans passer par une figure de proue”. Longue vie aux artistes pop. Leur sacrifice nous préserve peut-être de la troisième.

Pop Yoga de Pacôme Thiellement, Editions Sonatine, 489 pages

 

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