C’est le carnet du sous-sol du XXIe siècle, une grande œuvre que celle du photographe Antoine d’Agata si l’on entend ainsi l’appel de la Grèce antique à nos jours en faveur du dévoilement de ce que l’humanité refuse de voir dans le confort de sa caverne, un cri d’outremonde, des bordels du Cambodge et du Mexique, de la misère sans visage des sans-papier de Sangatte, des victimes de la dictature de Kadhafi ou des humiliations vécues par les Palestiniens privés de pays, jusqu’aux ouvriers français dont l’emploi est emporté par les éclats de croissance de la mondialisation.
Les photographies présentées dans le sous-sol du Bal sont exposées les unes contre les autres sur quatre murs comme une Nef des fous de notre temps qui poursuit le geste de Jérôme Bosch à Francis Bacon de raconter l’histoire de ceux que notre civilisation voudrait rendre invisibles en esthétisant leur souffrance : « Antoine d’Agata a partie liée avec la population de ces zones déshéritées de la planète où se côtoient prostituées, souteneurs, dealers, délinquants et déclassés de toutes sortes… Aucune condescendance dans son regard ; aucune compassion non plus. Il se sent appartenir à la même « sale espère » (pour reprendre la formule de Michel foucault) que ses partenaires photographiés. Les classes dites dangereuses, dégâts collatéraux du capitalisme contemporain (spectaculaire et mondialisé), portent en elles le ferment de la révolte à tous les ordres établis, économiques, raciaux et sexuels » (Bernard Marcadé).
Aucune morale sinon du regard dans ce parcours mû selon son auteur par la seule volonté de pratiquer « la photographie comme art martial dont l’unique principe serait le désir du monde ». Il célèbre « la communauté hybride de ceux qui n’ont rien (…), se forge un destin propre pour s’inscrire comme sujet dans l’histoire, vivre dans l’infamie, se défaire de l’esclavage par l’assouvissement de l’instinct, refuse de fait de consentir à son exploitation pour se fondre dans une danse du sexe et de la mort ». Anticorps est le portrait de la détresse et de la jouissance des rebus de l’humanité, de l’orgasme comme mode d’exister face à l’oppression et au dénuement. Pour paraphraser le plus connu des hommes qui choisit de vivre comme un chien : Si tu viens juger, ôte-toi de leur soleil.
Anticorps d’Antoine d’Agata au Bal, 6 impasse de la Défense, 75 018 Paris, 01 44 70 75 50, tarif plein 5 euros, réduit 4 euros, jusqu’au 14 avril 2013.