“Malheur aux peuples qui ont besoin de héros.”
Bertolt Brecht
“En me promenant un jour dans les rues de Bologne, j’ai vu ce graffiti sur un mur : “Ni mythe, ni héros.” Quelle tristesse…”
David B., préface au Tengû Carré
Il est étonnant de voir à quel point le monstre né de la fusion entre Jeff Goldblum et une mouche dans le film homonyme de David Cronenberg donne un sentiment de déjà-vu, comme disent nos cousins anglo-saxons, tant les Batman de Tim Burton, Spider Man de Sam Raimi, Hellboy de Guillermo del Toro (dont le 2 est attendu cet automne en France, et dont nous dirons probablement beaucoup de bien dans ces lignes), Batman de Christopher Nolan (dont la suite The dark Knight, Le chevalier sombre, sort cet été) ou Hulk de Louis Leterrier (qui sort la semaine prochaine), semblent avoir goûté à la source du personnage né du remake d’un film d’horreur de série B des années 50.
La créature du film de Cronenberg semble constituer la transition parfaite entre les superhéros et les monstres des années 70, et ceux des années 90, lorsque les frontières entre bien et mal se sont estompées après la chute du Mur de Berlin, et encore davantage après les attentats du 11 septembre. Fini Superman en slip d’une rare laideur qui sauvait la planète sans se poser de question. Le héros contemporain doit composer avec son étrangeté (Batman est à moitié autiste), sa difformité, voire sa franche laideur (Hellboy, Hulk), et, comme diraient les Grecs, son hubris, c’est-à-dire la manière dont il utilise de son pouvoir avec excès (Batman, Spiderman, Hellboy, etc.).
La créature “Brundle-fly” (la mouche Brundle, nom du personnage interprété par Goldblum) marche sur le plafond de son appartement, comme plus tard Spiderman, fait peur à son entourage du fait de sa laideur (insoutenable, l’auteur de ces lignes faisant partie des trouillards qui détournent la tête au cinéma lors des scènes d’horreur), comme Hellboy et Hulk, et devient une créature dangereuse lorsqu’il apprend que son ex-compagne Geena Davies veut se débarrasser de l’enfant qu’elle porte en elle. Avant de quitter sa compagne, la mouche lui explique qu’elle aimerait devenir le premier “animal politique”, c’est-à-dire le premier insecte capable de dépasser sa condition animale pour composer avec l’humanité. Cette phrase apparaît aujourd’hui comme un manifeste du superhéros des années 90 et 2000, qui cherche à adapter ses pouvoirs aux besoins de la cité dans laquelle il évolue.
David Cronenberg s’intéresse davantage aux racines du mal qu’à la bonne conscience du bien, mais il a, en décrivant l’humanité des monstres, ouvert un champ infini de perspectives pour exprimer la difficulté à appréhender la frontière ténue qui sépare le vice de la vertu.