“Sans avoir besoin d’être un fanatique de la pitié, tout en reconnaissant la nécessité biologique et psychologique de la souffrance pour l’économie de la vie humaine, on n’en a pas moins le droit de condamner la guerre dans ses moyens et ses buts, et d’aspirer à la cessation des guerres.”
Sigmund Freud, Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort (1915)
Il n’est pas inintéressant, alors que s’ouvre le projet utopique d’Union pour la Méditerranée, de voir quels signes nous apporte le cinéma sur ce sujet. Le film Valse avec Bachir de l’Israélien Ari Folman ouvre sur la charge imaginaire des vingt-six chiens tués par un ancien soldat israélien lors de son service, à chaque fois que sa troupe devait entrer dans un visage palestinien. La grande originalité de ce superbe film d’animation réside dans le choix de la psychanalyse et des rêves, autant que de la poésie, pour tenter de comprendre ce qui s’est passé dans les camps de Sabra et Chatila, au Liban, où furent massacrés plusieurs milliers de Palestiniens par des phalangistes chrétiens, sous la surveillance passive de l’armée israélienne commandée par Ariel Sharon, en 1982.
Valse avec Bachir lève le voile sur l’horreur des guerres menées au nom de la religion et du territoire au Proche-Orient, sur l’immense culpabilité des soldats israéliens embrigadés dans une guerre du Liban reconnue aujourd’hui comme une invasion, et sur la lenteur du processus de reconnaissance des crimes commis au cours de celle-ci. La psychanalyse et la poésie sont la voie choisie par Ari Folman pour revenir sur une guerre qu’il a volontairement chassée de son esprit, et l’accouchement progressif de la mémoire, et des horreurs refoulées, apporte une nouvelle preuve du génie du cinéma à donner des pistes pour aider à cerner l’incompréhensible, ou plutôt l’inacceptable.
La question du destin commun des Juifs, Chrétiens et Musulmans est indissociable de l’histoire du cinéma, étant donné l’importance des Juifs dans la construction de celle-ci à Hollywood, et du choix récurrent de la passion du Christ dans les premières décennies du cinéma comme pierre d’achoppement entre les producteurs juifs et le public chrétien. Les amateurs de Ben-Hur (1959), n’ont pas oublié que l’interprète Charlton Heston de ce héros juif, résistant aux Romains, qui allait embrasser la nouvelle religion suite à sa rencontre avec le Christ, tombait amoureux de la magnifique comédienne palestinienne Haya Harareet, et que le même Ben-Hur triomphait des Romains dans l’arène (Ach, la course de chars…) sur un pur-sang arabe.
Alors que la route de Ben-Hur croise celle d’un homme parti à la rencontre du Messie, le héros explique qu’il ne croit pas en Dieu car il ne croit pas aux miracles. “Toute la vie est un miracle” rétorquait le vieil homme. Il n’est pas non plus interdit de s’émouvoir de cette parole d’un soldat qui explique dans Valse avec Bachir qu’à la sortie du camp palestinien de Sabra, il a vu un enfant lever les bras, qui lui a rappelé cet enfant juif du ghetto de Prague. Et sans être un “fanatique de la pitié”, comme disait Tonton Freud, on sait depuis Rousseau que la pitié est bien le premier mouvement qui mène de soi aux autres.