Pourquoi les Russes font-ils d’excellents méchants hollywoodiens ?

Je suis un homme malade… Je suis un homme méchant. Un homme repoussoir, voilà ce que je suis. je crois que j’ai quelque chose au foie. De toute façon, ma maladie, je n’y comprends rien, j’ignore au juste ce qui me fait mal.”

Fedor Dostoïevski, Les carnets du sous-sol

Moins on voit, plus on croit. Il ne faut jamais imposer sa vision au spectateur, plutôt l’infiltrer petit à petit.”
Jacques Tourneur, Positif, novembre 1971

Ca serait pourtant pas si bête s’il y avait quelque chose pour distinguer les bons des méchants.”
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

La sortie simultanée des DVD de Les promesses de l’ombre de David Cronenberg et de La nuit nous appartient de James Gray, sortis en salle en 2007, confirment l’excellente position prise par les Russes pour occuper la place du mal absolue dans le cinéma hollywoodien, alors que celle du nazi allemand semble à bout de souffle. Même Indiana Jones se bat aujourd’hui contre les Russes (de l’ère soviétique), alors que son opposition aux nazis avait occupé le premier et le troisième épisode de la saga dans les années 80, à une époque où les Russes n’avaient plus grand chose à opposer aux Américains, mais où Spielberg jugeait que l’Allemagne nazie n’avait pas livré tous ses secrets.

Certains autres peuples ont occupé brièvement une place de premier choix dans l’univers hollywoodien, comme les Français (dans Master and Commander, à l’époque où les Etats-Unis en voulaient à Jacques Chirac de s’être opposé à leur glorieuse aventure irakienne), les Arabes (True Lies, The kingdom, Les rois du désert, etc. mais ces méchants sont extrêmement caricaturaux, et très en-deçà des instigateurs du 11 septembre en termes de puissance anxiogène) ou les Chinois (Les infiltrés de Scorsese, mais sans réussir à faire des acteurs chinois des personnages aussi inquiétants que Jack Nicholson).

Rien n’y fait, un méchant sera aujourd’hui russe ou ne sera pas. Dans Les promesses de l’ombre, Viggo Mortensen incarne un policier infiltré dans la mafia russe de Londres, qui n’hésite pas à violer les jeunes femmes qui alimentent son trafic, et à les tuer lorsqu’elles deviennent dérangeantes. Vincent Cassel interprète un héritier dégénéré de cette famille, instable et violent. La force de ces personnages provient de leur familiarité car tous ces personnages sont d’autant plus inquiétants qu’ils nous ressemblent.

Dans La nuit nous appartient, Joaquim Phoenix est un patron de boîte de nuit new-yorkais qui opère pour la mafia russe combattue par son frère policier interprété par Mark Wahlberg. Il devient indicateur de la police le jour où son frère est abattu. La mafia, qui ne connaît pas son histoire familiale, propose à Joaquim Phoenix d’investir dans le trafic de drogue. La scène magistrale au cours de laquelle il visite le lieu où la cocaïne est préparée ressemble à une véritable descente aux enfers, opaque, sombre et glaciale.

L’image de la Russie sur le plan international reste globalement négative du fait des nombreux assassinats de journalistes qui s’y sont pratiqués au cours des dernières années, de la répression impitoyable qui sévit en Thchétchènie, et de l’implication probable des services secrets russes dans l’exécution de l’ex-espion Alexandre Litvinenko à Londres. La culture russe du secret et de la résolution violente des conflits offrent finalement un formidable champ d’investigation au cinéma mâture qui sait que le mal n’a pas nécessairement un autre visage que le bien.

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