Ce grand film brésilien n’utilise que les outils du cinéma pour donner vie à une très grande héroïne contemporaine, Clara, la belle métisse interprétée par Sonia Braga. Cette comédienne exceptionnelle illuminait même l’un des pires films d’Eastwood, La Relève, dans lequel elle abusait sexuellement du comédien cinéaste (Passez-moi Freud). Dans Aquarius, elle résiste à la tentative de vente forcée de son appartement par un promoteur qui a racheté tous les autres biens de son immeuble et semble prêt à tout pour l’expulser.
La lutte est épique entre le jeune blanc bec frais émoulu d’une grande école américaine de “bisiness” parlant le langage condescendant-technique de certains praticiens immobiliers (1. Je parle le langage du client 2. Je le noie de termes techniques s’il m’emmerde, la plupart des personnes n’osant pas passer pour des imbéciles) et la métisse féministe ancienne hippie. Kleber Mendonça Filho croise un grand film politique sur les passerelles entre les classes sociales, un grand portrait de femme aux prises avec l’âge et son corps de femme victime d’un cancer du sein, un grand polar sur la résistance à la spéculation immobilière agressive, et une grande esquisse sur l’entrée en résistance d’un visage, l’essence même du cinéma.
Aquarius ouvre en 1980 sur la fête anniversaire d’une tante qui rêve, durant le pompeux discours sur son courage de femme lettrée, des solides cunnilingus que lui offrait son amant quarante ans plus tôt sur la commode léguée à sa nièce. “Vous avez oublié la Révolution sexuelle” dit la tante à l’issue du discours, la plus importante, la seule qui permette d’éviter de remettre les fusils au pouvoir. Clara a bénéficié de la liberté sexuelle, des luttes féministes, des hommes et de son talent d’écrivain. Elle résiste à la soirée pornographique que lui réserve le promoteur dans l’appartement au-dessus de chez elle en invitant un gigolo, repeint la façade de l’immeuble en bleu ou cherche des preuves de la corruption de son adversaire.
Le cinéaste réserve une scène exceptionnelle pour la fin du film, coup d’éclat de l’héroïne si loin du recueil sociologique du cinéma contemporain qui s’arrête trop souvent sur un plan sublime sur le fatal cloisonnement des classes sociales, tel l’ultime plan de Brooklyn village encore à l’écran. Frank Capra inventait dans La vie est belle un chef d’entreprise désireux de répandre le bonheur, de reloger les ouvriers des taudis, de sauver son frère et se contentant d’une maison modeste. Naïf ? Une plus juste répartition des richesses est l’un des sujets majeurs du XXIe siècle. Aquarius ouvre une autre révolte possible sans bombe ni fusil avec la seule arme du retournement de cancer de son héroïne. Kleber Mendonça Filho a peut-être inventé l’une des ces formules qui sauveront le siècle.