La bêtise masculine d’imaginer la femme enivrée de son aura au point de ne pas désirer en dehors du foyer quand le porteur du phallus juge naturel d’aller voir ailleurs se heurte à l’affirmation du désir féminin dans la sphère publique et privée. Le héros du dernier film de Philippe Garrel interprété par Stanislas Mehrar, meilleur interprète de la mélancolie garrelienne, est de ceux-là, nécessiteux de se transformer en mari-enfant au contact de sa compagne Manon (Clotilde Courau), mais incapable de résister au besoin de la tromper avec une belle étudiante en doctorat (Lena Paugam).
Afin de s’accorder les pleins pouvoirs sur son amant, la maîtresse utilise sa vision de l’adultère de la compagne dévouée prise en flagrant délit de caresser un homme de passage (Mounir Margoum) alors qu’elle semblait vivre dans l’ombre de Pierre. La nouvelle ravage le jeune artiste fauché qui sombre dans le machisme minable et la jalousie.
Philippe Garrel capte parfaitement les demandes d’amour féminine (regard, main à la recherche de l’étreinte) et la fuite masculine magnifiées par le chef-opérateur Renato Berta qui parsème l’image en Cinémascope de petites touches de lumière qui illuminent une main ouverte et un visage fermé, avec les yeux hagards de Stanislas Mehrar. Les scénarios les plus ciselés de Garrel (ici associé à Caroline Deruas, Arlette Langmann et Jean-Claude Carrière) éloignent son univers du romantisme wertherien pour livrer des histoires plus denses et généreuses.
Amateur de psychanalyse, le cinéaste laisse s’exprimer l’inconscient de ses personnages avec un accent mis dans cet opus sur la dénégation, dont Freud affirmait “que la reconnaissance de l’inconscient du côté du moi s’exprime dans une formule négative (…) le symbole de la négation permet un premier degré d’indépendance à l’endroit du refoulement et de ses suites et par là aussi de la contrainte du principe du plaisir”. Pierre, cinéaste idéaliste, est incapable d’admettre qu’il n’est pas indispensable et que sa compagne peut désirer un autre homme, et tout aussi incapable d’accepter que le vieux pseudo-résistant si attachant et convaincant qu’il filme est un salaud qui a fait fusiller ses camarades durant l’occupation. Dans L’ombre des femmes, c’est la dénégation du désir qui permet aux personnages d’avancer dans leur désir de couple et de film, où l’inconscient trahit les personnages pour leur permettre de se réaliser.