Night Crawler, littéralement le “rampeur de nuit”, dresse le portrait de sociopathe urbain le plus effrayant depuis Taxi Driver, celui d’un homme qui radicaliserait chaque principe de l’ultra-libéralisme, avec le masque béat du caméléon Jake Gyllenhaal (journaliste ambitieux dans Zodiac, policier gras et bourré de tics dans Prisoners, pigiste de chaîne de télé trash ici) : self-made man (“I’m a quick learner, you’re going to see me soon” “j’apprends vite, vous allez me revoir bientôt” à la patronne d’une chaîne de télé qui lui apprend les rudiments du métier), “rire affreux de l’or” (Georg Trakl) par le message quotidien hurlant au passant que la fortune est à portée de main par l’achat d’un ticket de loto, l’initiative individuelle, le travail acharné…, adaptation de son profil à un plan de carrière et émulation de son réseau individuel et professionnel (Jake Gyllenhaal salue les membres de la chaîne de télé comme un mauvais acteur qui imiterait la vraie manière de saluer fraternellement des proches)…
Le portrait de ce petit voleur transformé en pigiste de chaîne de télévision est le plus effrayant de ces dernières années. Dan Gilroy filme la misère de la solitude humaine et l’humiliation des chômeurs et des travailleurs pauvres qui amène à accepter n’importe quelles conditions de travail à Los Angeles. Il n’épargne aucun détail de la misère du héros ricanant de manière mécanique aux programmes de télévision imbéciles et imposant à son futur stagiaire et employé à tout faire de se vendre comme l’employé de l’année pour un contrat à 30 dollars la nuit.
Le regard complaisant sur une Amérique en prise avec les marchands d’arme et les médias trash ne doit pas faire oublier que le même type de programme se développe en France où des chaînes privées appellent les citoyens à se saisir de leurs caméras et agitent les peurs contemporaines (peur de l’immigré, exaltation de la réussite professionnelle, faux débat sur les films d’horreur ou le Hellfest de Clisson) alors que les journalistes souffrent de la précarisation de leur métier et de l’orientation de l’information sur la sensation.
La mise en scène s’emballe lorsque le pigiste devance la police pour couvrir le massacre d’une famille riche par deux Latinos. Il suit les malfrats pour lancer la police sur leurs trousses et s’offrir de belles images bien juteuses pour le journal du matin. “Il nous force à nous dépasser” clame pour le défendre la directrice de l’information interprétée par René Russo dans cette histoire d’amour rare dans le cinéma entre une femme de soixante ans et un trentenaire. Bien évidemment, l’amour n’est qu’un instrument dans ce récit qui décrit l’étape ultime de l’humanité en une transformation de tout désir en moyen de production.