Magic in the Moonlight de Woody Allen : présence de la lune

Le croisement du sommet de l’élégance britannique Colin Firth (avec son excellent collègue Simon McBurney) et de la fraîcheur américaine échappée du film le plus joyeusement vulgaire de notre temps avec Supergrave, Emma Stone, donne l’un des bijoux dont Woody Allen a le secret du haut de ses presque 80 ans.

Il est question de magiciens, de faussaires et du bon moment pour se (re)lancer en amour dans cette histoire de riches esseulés dans d’immenses villas de la Côte d’Azur où un magicien pseudo-oriental interprété par Colin Firth est convié pour démasquer une médium (Emma Stone) issue de la classe ouvrière dont s’amourache un imbécile héritier qui gratte son ukulélé pour chanter la sérénade à la belle jeune femme aux grands yeux. L’histoire qui porte la trace de l’intrigue de l’un des plus intelligents romans noirs, Au seuil de l’abîme de Hake Talbot où il était aussi question de médium et de magicien, progresse sur le fil de la grâce et de l’enchantement.

Le passage de Woody Allen en Europe depuis Match point en 2005 lui offre l’occasion de confronter le pessimisme et le goût pour le savoir de la vieille Europe à l’énergie et à l’enthousiasme américain. La réussite continue d’être au rendez-vous par un choix très judicieux de comédiens à contre-emploi de Scarlett Johansson à Emma Stone et Colin Firth en arroseur arrosé, des meilleurs techniciens (de nouveau Darius Khondji à l’image et la collaboratrice d’Almodovar Sonia Grande aux costumes) et l’écriture d’histoires qui bercent ses angoisses de mélancolie et de surprises. C’est finalement de ces surprises dont Jean-Claude Carrière m’écrivait un jour qu’elles manquaient dans l’un de mes scénarios qu’il enchante le plus le spectateur envoyé dans la chambre chaude de l’enfance prêt pour la magie.

 

Bande de filles de Céline Sciamma : des filles b…

La cinéaste d’histoires de filles qui découvrent qu’elles ne jouissent pas comme des garçons de marcher sur les plates-bandes de ces derniers (aimer les filles, vivre libre, faire du sport…) impose quatre héroïnes flamboyantes au public trop souvent couvé par les bandes ethniques du Quartier Latin.

La cinéaste parmi les plus talentueuses du jour embrase la salle par un match de football américain au ralenti et la déambulation de ses filles dans la cité de banlieue. Marieme, 17 ans, est amoureuse, lâche l’école, intègre une bande, vend de la drogue… Le film alterne ensuite les passages très didactiques du jeune cinéma français (une scène pour la violence masculine, une scène sur l’orientation orientée des Français issus de l’immigration, une scène sur le racket à l’école, une scène de bagarre…) et les exceptionnels passages où les filles improvisent, dansent, se déhanchent sur les rives de la ville la plus admirée du monde, notamment aux pieds de l’Arche de la Défense conquis par ces combattantes.

Shine bright like a diamond chantent-elles sur Rihanna dans leur univers américanisé, le pays qui continue de faire croire que tout est possible quand la France aime à se faire peur et tourner autour de ses peurs depuis un certain temps. Marieme joue pourtant l’équipe de France aux jeux vidéos lorsqu’elle a acquis le respect des garçons. Elle va un peu trop loin dans le mâle monde de la cité pour ne pas s’y brûler jusqu’à s’offrir un nouveau départ qui aurait pu se finir sur un regard-caméra à la Doinel qu’offre après tout l’affiche puisque c’est bien de ce dont il s’agit, de la capacité du cinéma à déranger l’avenir.

François Truffaut à la Cinémathèque : la bouche pleine de terre, d’amour et de sexe

De s’appeler Tuffreau pour avoir déplacé le “r” de ne pas assumer que Papa ait fait fortune en vendant des nains de jardin et des brouettes, et d’avoir un père prénommé François, un frère vivant du cinéma et soi-même le faisant spirituellement nous emmène naturellement sur les pas de l’exposition consacrée au cinéaste trop tôt disparu (1932-1984) par la Cinémathèque Française.

L’histoire s’arrêterait là si les best-sellers de ce modeste blog à la truffe ne tournaient autour de la sagesse de la Truffe, de la lettre de rupture à Godard que doit lire toute personne qui s’intéresse au cinéma en France en ce qu’elle aborde tous les aspects du sujet (vie d’artiste, production, rapport à l’argent, rapport aux femmes, aux hommes, délire du jeune Godard sur les juifs…) à l’adaptation fragile de L’Etranger de Camus par Visconti, le cinéaste ayant prévenu le 3 novembre 1967 un étudiant de l’IDHEC du risque auquel il s’exposait en adaptant le roman : “Je connais très mal l’oeuvre d’Albert Camus. J’ai lu une pièce, Les justes, qui m’a semblé consternante et, il y a deux ans, L’Etranger dont on me proposait de tirer un film. J’ai trouvé ce roman inférieur à n’importe lequel des deux cents que Simenon a écrits”.

L’exposition que lui consacre la Cinémathèque rappelle le parcours hors norme dans ce pays d’héritier qu’est la France d’un jeune homme pauvre délaissé par sa mère, adopté par le critique André Bazin et son épouse Janine et adoubé par son beau-père le distributeur Ignace Morgenstern qui produisit en cachette son premier long Les quatre cents coups. Le parcours insiste sur les images mythologiques créées par le cinéaste qui à défaut d’être considéré comme un grand metteur en scène, a créé des images inoubliables citées en boucle dans le cinéma contemporain, du regard caméra de Doinel qui citait déjà Monika de Bergman aux seins de Michèle Mercier dans Tirez sur le pianiste (selon Aznavour rencontré par votre serviteur, la scène qui ringardisa le drap collé sur la poitrine au cinéma) à l’enlèvement des bas de Françoise Dorléac, à une bande de résistants récitant en marchant dans la neige des livres brûlés dans Fahrenheit 451 ou à Fanny Ardant appuyant sur la gâchette à la fin de La femme d’à côté, “ni avec toi ni sans toi”.

Que de femmes bien sûr dans le parcours de cet homme qui coucha avec la plupart de ses comédiennes principales à l’exception d’Isabelle Adjani. Le passage le plus saisissant de l’exposition montre tous ces visages sublimés à l’écran (notamment la belle Marie Dubois photographiée par Robert Doisneau saisissant le regard de Truffaut couvant sa comédienne, et disparue le 15 octobre) par le cinéaste qui ne supportait pas la présence d’un homme après 20 heures, mais offrit le portrait prémonitoire et créateur de la féminisation de l’homme des années 60 à nos jours. Comme le livre un document de travail de l’homme qui aimait les femmes présenté dans l’exposition : “Mais qui sont toutes ces femmes (…) ? La vérité, je vais vous la dire : elles veulent la même chose que moi, elles veulent l’amour. Toutes les sortes d’amour, l’amour physique ou l’amour sentimental ou même simplement la tendresse désintéressée de quelqu’un qui a choisi quelqu’un d’autre pour la vie et ne regarde plus personne”. Le cinéaste ajoute au stylo à la fin de cette page dactylographiée “Je n’en suis pas là : moi, je regarde tout le monde”.

Exposition François Truffaut à la Cinémathèque, jusqu’au 25 janvier 2015

Correspondance François Truffaut, préfacée par Jean-Luc Godard, édition Hatier puis Le livre de poche, document majeur pour comprendre son oeuvre et la Nouvelle vague, épuisé mais se trouve chez les bons libraires d’occasion

François Truffaut au travail de Carole Le Berre, édition Les cahiers du cinéma
Biographie de François Truffaut par Serge Toubiana et Antoine de Baecque, Folio Gallimard

 

Gone Girl de David Fincher : de la morbidité conjugale et cinématographique

Le cinéaste de la transformation de frustrations sexuelles en constructions morbides (un tueur en série décapite la femme inaccessible du policier qui le poursuit dans Seven, la castration à l’œuvre dans la civilisation produit des tueurs en série qui répondent au fantasme de leur époque (un noir, un intellectuel pervers, un homme normal…) dans Zodiac, un génie de l’informatique invente le plus grand réseau social du monde après avoir été quitté par sa copine dans The social Network, un Suédois d’extrême-droite trucide de jeunes femmes pour se consoler de ne plus toucher sa sœur à laquelle sa race le promettait dans Millenium…) poursuit son charcutage de la mythologie de l’amour pour tous en adaptant le best-seller Les apparences à son univers noir et métallique.

Le portrait du délitement du couple formé par nos héros est conforme aux séries qui font la fortune de la presse féminine : léthargie de la vie de province, discord entre le goût de Monsieur pour son organe et ses sublimations et le besoin de parler et le rêve d’enfant de Madame, empoisonnement de la vie conjugale par les névroses en suspens de chacun (écrivain raté pour lui, muse des livres pour enfant ayant fait la fortune et par héritage la sienne pour elle).

Gone girl présente l’avantage de retourner le schéma viril du tueur en série pour dresser le portrait d’une perverse bien organisée pour briser son époux. Après, on se prend à se bercer du souvenir des films de Hitchcock qui capturait en une image la vaine tentative des hommes d’échapper au jeu des femmes pour les transformer en mari-enfant. L’ouvrage laisse le sentiment de renoncer au cinéma pour offrir comme le roman une galerie interminable de twist (retournement de situation) qui peine à combler le vide de la mise en scène et une excellente comédienne en Rosamund Pike qui peine à cacher la fragilité du jeu de son Endive Warhol de compagnon. Tout du jeu du désir et de l’amour devient sale et morbide sauf Petite sœur (qui affirme au héros que « Maman aurait tout arrangé ») dans un film qui rejoint la liste tragique des films aussi conservateurs que l’univers qu’il dénonce.

Garry Winogrand au Jeu de Paume : le coup d’éclat permanent

L’oeil du photographe américain Garry Winogrand a suivi toute sa vie son obsession pour cet élément majeur de la vie contemporaine qu’est le coup d’éclat permanent. Les passants des villes de New York, Los Angeles ou Fort Worth au Texas lui ont offert un portrait de l’Amérique des années 50 au début des années 80 marqué par la manière dont les corps se sont mis en scène de manière très individualiste pour délivrer de manière consciente ou non un message politique, économique ou social sur leur tribu d’appartenance.

L’ironie est de mise dans le regard du photographe qui a selon Robert Cowley capté ” le vide et la folie omniprésente, mais aussi la vitalité d’une si grande partie de la vie américaine”. Garry Winogrand (1928-1984) capture les baisers furtifs des soldats prêts à décoller pour le Vietnam alors que leur fiancée regarde ailleurs, l’éclat de rire des belles femmes riches ou modestes offrant leur portrait vivant au regard des passants, la béatitude hargneuse des politiques en campagne permanente, le regard méprisant des passants sur ceux qui ne font pas partie de leur tribu, le ravissement des tribus de femmes enivrées, de noirs en goguette sur les modernes autoroutes de la frime, de foules rendues imbéciles par la proximité d’une star…

La maladie a finalement eu raison de ce photographe disparu avant d’avoir développé plusieurs milliers de photographies dont certaines sont exposées pour la première fois au Jeu de Paume. L’émotion est vive face à certains clichés comme celui de cette Californienne chaussures à talons en main entre une voiture et un panneau de circulation métaphore de l’infinité dérisoire des possibles ouverts dans le monde contemporain puisque le théâtre du monde se joue dans la rue et notre manière d’y occuper l’espace.

Garry Winogrand au Jeu de Paume, jusqu’au 8 février 2015

Mommy de Xavier Dolan : l’appel de la mère

Le cinéaste québécois prodige rend hommage au poids considérable de la mère dans la civilisation qui peine à offrir des valeurs plus puissantes, entre la performance, le divertissement et la liberté d’expression, que l’amour de “la préposée à la présence et aux soins” (Colette Soler).

Avant de tourner son prochain opus avec Jessica Chastain aux Etats-Unis, l’épisode québécois de l’ambitieux cinéaste est bouclé par le retour d’Anne Dorval, mère haïe dans son premier film J’ai tué ma mère, en mère trop aimée par un fils victime de sévères troubles du comportement et de l’affection. C’est donc un couple de femmes fortes, la mère et sa voisine inconsolable de la perte d’un fils, qui va tenter de s’occuper de l’insupportable gamin provocateur, colérique et raciste.

Xavier Dolan utilise le format inédit de 1/1, aussi haut que large, pour cadrer les visages selon un cadre proche de celui des téléphones intelligents et teinter de mélancolie le narcissisme ambiant. Le maniérisme a toujours la part belle dans son cinéma qui n’a pas peur du kitsch des velours et du “trésor national” québécois Céline Dion. Le cinéastes s’offre des audaces incroyables comme étirer son cadre par un mouvement du bras du héros avant de le rétrécir devant la détresse de la mère.

L’intrigue est portée par un vague débat sur les dispositifs d’enfermement des jeunes turbulents qui intéresse moins le cinéaste que le geste de l’héroïne aimante et souffrante, tendre et vulgaire. Le spectateur a surtout l’impression de ne pas avoir vu mère plus mangeuse de cadre depuis Anne Magnani dans Mamma Roma : “les sceptiques seront confondus” lance l’héroïne aux assistantes sociales et aux bouffeurs d’espoir au début du film. La chute du film compte moins que le ventre de l’héroïne. O Mamans puissantes et en puissance.

 

The tribe de Myroslav Slaboshpytskiy : Ha Han Hé Pif

Lui : Ho ? Une dame : Ha. Il arrive en retard dans l’institut sourd-muet. Lui : Hé. Un autre ado : Hé Hé. Il donne son argent. Les ados : Hé Hé Hé. Lui : Han. Les ados : Pif. Lui : Pif Pif.

Un ado : Hé Hé. Elle : Hé Hé. Un chauffeur routier : Hé Hé. Elle : Han Han. Le chauffeur routier : Han Han. Lui : Ha. Elle : Hé. Lui : Hé Hé. Elle : Hé Hé. Lui : Han Han. Elle : Han Han. Il la pénètre en caressant son clitoris. Elle : Han Han Han. Lui : Han Han Han. Elle : Han Han Han Han. Lui : Han Han Han Han. Elle et Lui : Aaaaaargh.

Elle : Hé. Lui : Ha Ha. Elle : Hé Hé. Lui : Han Han. Elle : Hé Hé. Elle rêve de fuir à l’ouest. Lui : Han. Elle : Hé. Lui : Han Han. Elle : Hé Hé. Les autres ados : Pif Paf Pouf. Lui : Pif Pif Pif Pif. Moralité : Ha Han Hé Pif.