De s’appeler Tuffreau pour avoir déplacé le “r” de ne pas assumer que Papa ait fait fortune en vendant des nains de jardin et des brouettes, et d’avoir un père prénommé François, un frère vivant du cinéma et soi-même le faisant spirituellement nous emmène naturellement sur les pas de l’exposition consacrée au cinéaste trop tôt disparu (1932-1984) par la Cinémathèque Française.
L’histoire s’arrêterait là si les best-sellers de ce modeste blog à la truffe ne tournaient autour de la sagesse de la Truffe, de la lettre de rupture à Godard que doit lire toute personne qui s’intéresse au cinéma en France en ce qu’elle aborde tous les aspects du sujet (vie d’artiste, production, rapport à l’argent, rapport aux femmes, aux hommes, délire du jeune Godard sur les juifs…) à l’adaptation fragile de L’Etranger de Camus par Visconti, le cinéaste ayant prévenu le 3 novembre 1967 un étudiant de l’IDHEC du risque auquel il s’exposait en adaptant le roman : “Je connais très mal l’oeuvre d’Albert Camus. J’ai lu une pièce, Les justes, qui m’a semblé consternante et, il y a deux ans, L’Etranger dont on me proposait de tirer un film. J’ai trouvé ce roman inférieur à n’importe lequel des deux cents que Simenon a écrits”.
L’exposition que lui consacre la Cinémathèque rappelle le parcours hors norme dans ce pays d’héritier qu’est la France d’un jeune homme pauvre délaissé par sa mère, adopté par le critique André Bazin et son épouse Janine et adoubé par son beau-père le distributeur Ignace Morgenstern qui produisit en cachette son premier long Les quatre cents coups. Le parcours insiste sur les images mythologiques créées par le cinéaste qui à défaut d’être considéré comme un grand metteur en scène, a créé des images inoubliables citées en boucle dans le cinéma contemporain, du regard caméra de Doinel qui citait déjà Monika de Bergman aux seins de Michèle Mercier dans Tirez sur le pianiste (selon Aznavour rencontré par votre serviteur, la scène qui ringardisa le drap collé sur la poitrine au cinéma) à l’enlèvement des bas de Françoise Dorléac, à une bande de résistants récitant en marchant dans la neige des livres brûlés dans Fahrenheit 451 ou à Fanny Ardant appuyant sur la gâchette à la fin de La femme d’à côté, “ni avec toi ni sans toi”.
Que de femmes bien sûr dans le parcours de cet homme qui coucha avec la plupart de ses comédiennes principales à l’exception d’Isabelle Adjani. Le passage le plus saisissant de l’exposition montre tous ces visages sublimés à l’écran (notamment la belle Marie Dubois photographiée par Robert Doisneau saisissant le regard de Truffaut couvant sa comédienne, et disparue le 15 octobre) par le cinéaste qui ne supportait pas la présence d’un homme après 20 heures, mais offrit le portrait prémonitoire et créateur de la féminisation de l’homme des années 60 à nos jours. Comme le livre un document de travail de l’homme qui aimait les femmes présenté dans l’exposition : “Mais qui sont toutes ces femmes (…) ? La vérité, je vais vous la dire : elles veulent la même chose que moi, elles veulent l’amour. Toutes les sortes d’amour, l’amour physique ou l’amour sentimental ou même simplement la tendresse désintéressée de quelqu’un qui a choisi quelqu’un d’autre pour la vie et ne regarde plus personne”. Le cinéaste ajoute au stylo à la fin de cette page dactylographiée “Je n’en suis pas là : moi, je regarde tout le monde”.
Exposition François Truffaut à la Cinémathèque, jusqu’au 25 janvier 2015
Correspondance François Truffaut, préfacée par Jean-Luc Godard, édition Hatier puis Le livre de poche, document majeur pour comprendre son oeuvre et la Nouvelle vague, épuisé mais se trouve chez les bons libraires d’occasion
François Truffaut au travail de Carole Le Berre, édition Les cahiers du cinéma
Biographie de François Truffaut par Serge Toubiana et Antoine de Baecque, Folio Gallimard