Un biopic doit uniquement être l’occasion de dire adieu à un personnage historique pour lui adresser un salut fraternel ou le piller sans douleur, et ne doit en aucun cas servir à le béatifier ou entonner le refrain de son génie éternel. Saint-Laurent est l’un des rares biopics à offrir un grand film parce que Bonello a choisi une courte période de la vie du couturier, l’époque phare qui court entre l’invention du tailleur-pantalon pour femme vers 1967 et la collection inspirée par les couleurs et lumières du Maroc et de Matisse en 1976.
Le cinéaste de L’Apollonide poursuit son éloge du féminin avec l’histoire de cet homme qui s’inscrivit de ce côté du genre et de la mode. Le jeune pied-noir d’Oran cultivait les morceaux de bois en forme d’Y et dessinait les costumes de son amoureuse maman. Le couturier vieux avant d’avoir été jeune allait révolutionner le vêtement féminin pour devenir l’un des acteurs majeurs de l’émancipation des femmes de 1945 à nos jours.
Le geste méritait bien un film tendre et violent à la gloire de cet amateur de drogues pour supporter la pression et de sensations fortes qui s’entourait de beaux jeunes gens, mannequins (Betty Catroux interprétée par Aymeline Valade), de femmes de la grande bourgeoisie transportées par ses vêtements (Valeria Bruni-Tedeschi devenant femme sous ses yeux) dandys (Jacques de Bascher, son amant mort du sida, interprété par Louis Garrel dans l’un de ses rares rôles de composition) et de l’homme de sa vie Pierre Bergé (Jérémie Renier).
Bonello filme le défilé Matisse en split-screen pour rappeler l’amour du cinéaste pour Mondrian qui lui inspira une collection. Il floute le visage du couturier lorsque celui-ci retire ses célèbres lunettes, et cadre des orgies d’étoffes, de bouches, de fesses, de seins, de pubis dans un hommage à Helmut Newton rendant hommage à YSL et de pénis. Le martyr, c’est bien entendu le témoin qui doit payer pour avoir vu ce qui est inaccessible à la plupart des êtres. De cet homme devenu voyant, Bonello capte la malédiction de l’artiste se plaignant à la fin de sa vie sous les traits du pauvre Helmut Berger qui sait de quoi il parle que “ce n’est plus YSL, mais “Yves est seul”. Mais c’est sur le cabotin rusé et amusé qu’on le croit mort que se clôt le portrait, signe que la bouche est peut-être la seule à l’emporter sur la mort.