Filmer L’or de leurs corps à Rosny-sous-Bois (9) : copains comme cochons II

Le marathon Pantin/Les Pavillons-sous-Bois/Rosny-sous-Bois est parti pour une durée de six mois sans escale, avec quelques ravitaillements jalonnés sur le parcours.

Les scènes seront tournées dans le désordre pour palier aux aléas climatiques, à l’indisponibilité de certains élèves et à ma fantasia personnelle et autocratique. Nous sommes au début du film. Le groupe des filles se dispute avant de se souder pour congédier Steeve qui vient tenter son coup. Nous sommes à dix mètres de la voie de RER E, dans un amphithéâtre grec propre à assouvir mon désir de cinéma mythologique. Dans quelques minutes, Eve sera assommée par une balle de tennis dans la cour. Elle saigne des mains en classe sans savoir pourquoi. Elle est accompagnée par la déléguée, Nicky, dans le bureau de l’infirmière. Le compte en banque est vide, mais comme disait Robert Duvall dans Apocalypse now, “I like the smell of napalm in the morning. It smells like victory.”

Il n’y a pas de raison qu’il n’y ait que Jean-Luc Godard qui lise L’Equipe, alors voici deux exemples de champions excellant à contre-courant de leur discipline, un blanc chez les noirs, un noir chez les blancs, où le spectateur blanc peut admirer l’athlète noir et le spectateur noir le sportif blanc, comme dans les films de Billy Wilder où l’on met des robes pour échapper à la mafia et où le stade ultime du capitalisme est le prêt d’appartement à ses boss pour obtenir de l’avancement. Si vous n’avez rien compris, ce n’est pas grave, mettez votre ceinture, ce n’est que le début.

Filmer Cosi fan tutte aux Pavillons-sous-Bois (10) : copains comme cochons

Il existe un rapport presque scientifique entre la barbe et les professionnels de l’image (masculins, car je n’ai jamais rencontré de femme à barbe dans le milieu, même si l’idée d’en rencontrer un jour me remplit de joie), comme s’il fallait une sorte de caresse sensuelle au moment de se dire comme le peintre : comment vais-je représenter cette belle femme offerte à mon objectif ?

La caméra, la célèbre barbe de Jean-Baptiste Gerthoffert et par manque de temps un micro qui ne pouvait pas tout faire étaient bien présents au Collège Eric Tabarly pour mener la danse de l’ouverture de Cosi fan tutte sur l’air du divin Mozart et la coquinerie du librettiste Lorenzo da Ponte, deux mots qui vont si bien ensemble pour nous parler de nos quinze ans boutonneux et curieux avant que les verrous sociaux ne se mettent en place.

Les couleurs des casiers du collège se marient avec la joie des élèves pour se chatouiller, se bousculer, se bisouiller ou se disputer en hommage à Messieurs Chaplin et Keaton. Je ne prends plus que la moitié de la classe par tranche d’une heure car ces braves jeunes gens ont un brevet à préparer s’ils veulent devenir beaux et intelligents comme moi. Et si je puis me permettre l’un de mes jeux de mots vaseux qui font la gloire de Cinéma dans la Lune de l’Allemagne au Maroc en passant par la Chine, “Wir sind aguérris, die Freude Göttes”, “nous sommes aguérris, la joie de Dieu”.

Luc Dardenne, Paul Vecchiali, le meilleur pour la fin

En haut des marches : photo Danielle Darrieux, Hélène Surgère, Paul Vecchiali

Apprenez jeunes cinéastes à pellicules à bien finir vos films comme Luc Dardenne et Paul Vecchiali plutôt que d’attendre le prochain David Fincher. Ils sont où, les étudiants en cinéma ? En tout cas, il n’y en avait pas beaucoup aux rencontres publiques avec Luc Dardenne et Paul Vecchiali dans le cadre des Rencontres cinématographiques de la Seine-Saint-Denis. Nous étions pourtant au coeur du sujet : comment réussir deux des plus belles fins de l’histoire du cinéma ? Comment maîtriser l’écriture filmique jusqu’à la dernière image de son film ?

Luc Dardenne, double lauréat de la Palme d’or à Cannes, a été très précis sur le travail d’écriture qui a mené à la dernière image du Fils projeté au Ciné 104 : Olivier Gourmet enveloppe d’une bâche les planches qu’il est venu chercher avec son apprenti, qui n’est autre que le meurtrier de son fils. Le cinéaste a expliqué qu’il avait étudié plusieurs options avec son frère Jean-Pierre avant de trouver cette image en répétant sur le lieu du décor, autour de la voiture du héros. Ils avaient auparavant étudié plusieurs alternatives après qu’0livier Gourmet ait renoncé à étrangler le jeune homme lorsque celui-ci le regarde (dans la philosophie de Levinas dont Luc Dardenne est féru, le visage de l’autre interdit le meurtre) : Olivier Gourmet s’écroule après son geste, le jeune homme rongé par la culpabilité va chercher le café, reproduisant le geste antérieur de Gourmet avec son ex-femme, Gourmet s’enfuit puis revient prendre le jeune homme en stop, etc.

Les cinéastes belges ont finalement décidé de clore l’action qui réunissait les deux personnages à cet endroit du film, réunir des planches pour le cours de menuiserie, avant de les recouvrir comme un linceul qui allait leur permettre de faire le deuil, sans aucun pardon possible comme l’a rappelé Luc Dardenne, mais avec la possibilité que Gourmet apprenne un métier au jeune garçon pour le faire sortir de ce cycle infernal.

Paul Vecchiali était venu présenter En haut des marches, hommage à sa mère et à son actrice fétiche Danielle Darrieux, l’histoire de la femme d’un collaborateur qui veut venger son mari à Toulon en 1963 puis suspend son geste. L’intrigue est née du face à face entre le cinéaste et sa mère qui craignait de l’avoir déçu, le laissant sans voix et littéralement en haut des marches de l’immeuble où elle résidait.

Il fallait un certain culot au cinéaste pour aborder aussi frontalement la question de la collaboration, dans un pays construit depuis soixante ans autour du mythe de la France résistante, dont Paul Vecchiali dit que pendant la guerre “il n’y avait pas d’alternative, on ne pouvait être que collaborateur et résistant”, ce qui est peut-être un peu mieux admis à l’époque de Black Book de Verhoeven, mais a dû valoir certaines inimitiés au cinéaste lors de la sortie du film, en 1983. Paul Vecchiali assure par ailleurs que le succès du film est né de la très bonne critique des radios juives de province qui ont jugé qu’En haut des marches était le premier film qui s’attaquait de manière frontale au sujet de la collaboration.

Danielle Darrieux a un jour déclaré au cinéastes qui prétend avoir possédé 4 000 photographies d’elle alors qu’il était enfant “c’est bien beau de m’aimer, faîtes-moi travailler”. Son meilleur fan lui offrit ce rôle difficile de femme courageuse qui plantant dix patates pendant la guerre, en donnait trois aux Allemands, mais s’enorgueillait d’en garder sept pour nourrir les siens, qui jaloux dénoncèrent son mari comme collaborateur. Elle retourne dans la dernière scène du film dans la villa où elle vivait avec cet homme et fond en larmes sur la terrasse où sa parente lui dit qu’elle sera toujours la bienvenue.

Cette scène d’une cruauté inouïe où le cinéaste croisait ses souvenirs d’enfance et son amour pour cette très grande comédienne qu’est Danielle Darrieux est la plus belle qui ait été filmée sur la collaboration, face-à-face dans la Maison France de ceux qui ont courbé l’échine et de ceux qui ont tiré la couverture à soi. “Putain de métier” a dit Danielle Darrieux après la scène. On ne saurait mieux dire.

Le royaume enchanté de James B. Stewart : Mickey mord

Blanche-Neige et les sept nains : photo David Hand

La famille Disney, nom de la plus célèbre entreprise de divertissement au monde, vient peut-être du village normand d’Isigny-sur-Mer, dont le nom a été anglicisé par un noble compagnon de route de Guillaume le Conquérant.

Cette histoire d’émigré rêvant d’un monde enchanté a connu deux grandes époques, sous son fondateur Walt Disney (1901-1966) puis après une traversée du désert, sous l’impulsion de son PDG Michael Eisner de 1984 à 1994, avant de connaître un nouveau déclin jusqu’au départ tumultueux de ce dernier en 2004/2005. Le journaliste américain James B. Stewart a écrit avec DisneyWar, en français Le royaume enchanté, l’épopée shakespearienne de ce PDG que Steven Spielberg comparait à Machiavel, paranoïaque et esclave de son travail, qui ne s’offrit selon ses dires qu’une semaine de vacances en 28 ans de travail pour l’industrie du divertissement. C’est édité en France par Sonatine, qui s’est spécialisé dans les livres sur le cinéma (avec notamment la publication d’un recueil des passionnants articles de Pauline Kael) et les polars (avec au-delà du mal de Shane Stevens qui n’a pas cessé d’être pillé par les auteurs d’histoire de tueur en série depuis trente ans, L’heure du loup du même Shane Stevens sur le retour du refoulé vichyste de la France, et dont l’adaptation cinématographique constituerait un passionnant dialogue avec le Munich de Spielberg, l’extraordinaire Un long silence de Gary Gilmore, portrait de la famille du plus célèbre condamné à mort des Etats-Unis, le frère de l’auteur Mikal Gilmore, dans le seul pays capable de produire dans la même famille un assassin et un grand journaliste, un semi-clochard et un entrepreneur, ou le passionnant En mémoire de la forêt de Charles T. Powers, sur le retour du refoulé de la seconde guerre mondiale dans la Pologne contemporaine).

Le royaume enchanté est une histoire pleine de bruit et de fureur sur un homme qui fut longtemps le patron le mieux payé des Etats-Unis, amassant une fortune proche de 700 millions de dollars en vingt ans à la tête de Disney dont il fit un empire des médias et du divertissement sans produire un seul grand film de toute sa carrière, ou en dénigrant les projets les plus intéressants qui lui furent soumis, du Seigneur des anneaux de Peter Jackson au Sixième sens de Shyamalan à la série Lost en passant par le documentaire-propagande anti-Bush de Michael Moore, Fahrenheit 9/11.

C’est l’histoire d’une époque où un PDG peut faire illusion en privilégiant la croissance externe par l’acquisition de chaînes de télévision (le bouquet ABC, la chaîne Family), la construction de parcs d’attraction (dont le gouffre financier d’Euro Disney, qui généra une dette de plusieurs milliards de dollars pour le Groupe, à l’inauguration duquel François Mitterrand refusa d’assister, ce qui rendit Michael Eisner furieux) et en choisissant un excellent collaborateur en la personne de Jeffrey Katzenberg qui relança la production de films d’animation chez Disney (de La belle et la bête au Roi Lion) avant de quitter le Groupe en un retentissant procès avant de créer le studio DreamWorks, qui allait contribuer au renouveau de l’animation avec Pixar à mesure que Disney s’enfonçait dans la crise.

C’est pourtant un homme qui disait à ses troupes à son arrivée : “Donnez-moi l’idée dont vous n’avez pas voulu vous embarrasser vous-mêmes. Donnez-moi l’idée dont vous pensez qu’elle va trop loin.” L’histoire de ce mégalomane à la démesure de l’Amérique permet surtout à James B. Stewart de dresser le portrait de l’époque où les financiers ont pris le pouvoir au sein des studios et de l’industrie du cinéma au détriment des créateurs qui ont fini par obtenir leur vengeance.

Anti-histoire du cinéma par sa manière de s’intéresser au pire de la production de ces trente dernières années et aux mauvaises raisons de ne pas produire de bons films, Le royaume enchanté place le lecteur français face à ses contradictions, heureux de voir descendre en flèche le modèle américain, envieux de l’usine à rêves fondée par ce pays de pionniers. “Il est où Mickey ?” demandait mon frère furieux dans les salles de cinéma alors qu’il avait à peine quatre ans devant Fantasia, le film préféré de Walt Disney. Mickey mort, Mickey mord nous dit James B. Stewart : Pixar, le studio qui a réinventé le cinéma d’animation de Toy story aux Indestructibles en passant par Le monde de Nemo, a été racheté par Disney en 2006, un an après le départ de Michael Eisner, avec lequel le PDG de Pixar, un certain Steve Jobs, refusait de passer le moindre accord pour protester contre ses méthodes tyranniques.

Le royaume enchanté de James B. Stewart, éditions Sonatine, 23,50 euros.

Filmer L’or de leurs corps à Rosny-sous-Bois (8) : Girls, Girls, Girls

Bienheureux Yoann, Houcem et Haris d’évoluer auprès de telles demoiselles prêtes à partir à la conquête du monde. Tout l’histoire de L’or de leurs corps est à improviser et à écrire à présent que le canevas est donné : une collégienne tombe dans le coma après avoir été blessée, puis se réveille avec des pouvoirs qui soulèvent l’envie et l’incrédulité de ses proches.

Il n’est pas question d’imposer un texte qui amènerait tous les jeunes à parler comme moi. Le synopsis permet de mêler le réalisme au fantastique dans le cadre donné du collège. Le fantastique vise à sortir de l’environnement ultra réaliste et souvent pseudo-sociologique dans lequel ont été filmés les films sur l’école depuis dix ans. Les jeunes se lâchent enfin après quelques semaines de tâtonnement pour donner le meilleur d’eux : (nous parlons des personnages) Clara craintive des pouvoirs d’Eve, Steeve voulant tirer profit de ces capacités, Shaynez demandant à Eve comment embrasser les garçons, etc.

Nous sommes ici aussi dépendants des cieux et du temps qui file entre nos doigts à mesure que s’approche la fin de l’année civile. Mais au moment de doute et de solitude à l’entrée du collège succède la création du monde à chaque “action”. Comme écrivait le poète René Char, “là où nous sommes, il n’y a pas de crainte urgente”.

Filmer Cosi fan tutte aux Pavillons-sous-Bois (9) : amour, amour, je t’aime tant

Patience, jeune chien fou, tu n’as pas encore ta caméra, mais le groupe se forme, les jeune gens prennent confiance en eux, ils entrent dans leur personnage et ils ont déclamé haut et fort le texte qu’ils avaient écrit sur l’aimant idéal, donnant lieu à quelques perles : “je veux qu’elle soit vicieuse comme moi”, “qu’elle ait ce qu’il faut là où il faut”, “qu’il ait des tablettes de chocolat en or”, etc.

Après un passage au Ciné 104, qui coordonne le projet, pour présenter le film avec les classes suivies par Salma Cheddadi, il me semblait important de revenir sur ce pauvre Mozart dont je m’étais moqué, transformé qu’il est en sonnerie pour téléphone portable et répondeur pour centrale téléphonique. Faire le choix de filmer une adaptation de Cosi fan tutte en 2011, c’est tordre un texte fondateur de notre modernité, porteur de la colère des Lumières avec Despina parlant de son ras-le-bol de faire la femme de chambre comme Leporello de Don Giovanni disait qu’il ne voulait plus servir, et du romantisme naissant avec son exaltation du sentiment amoureux (ce n’est pas un hasard que le Concerto pour clarinettes soit utilisé dans Out of Africa pour la déclaration d’amour de Robert Redford/Denys à Meryl Streep/Karen Blixen).

Si le climat est dans notre camp, nous tournerons vendredi prochain dans la cour la scène d’ouverture en muet et en burlesque sur la musique de Mozart. Dépasser le narcissisme sans lequel il n’y a pas d’acteur pour se moquer de soi, voilà un beau programme de retour aux sources, non sous forme d’hommage béat au cinéma du passé, mais de salve d’espoir pour le cinéma à venir.

Rencontres ciné de Seine-Saint-Denis : Luc Dardenne, lecteur d’Emmanuel Levinas

Jean-Pierre Dardenne

Halte-là, passant internaute mal rasé (hors dames) à lunettes, tu ne dois point passer auprès d’un des événements de cette saison cinématographique, Luc Dardenne (qui constitue avec Jean-Pierre l’étonnant duo des “frères Coen de Belgique”), deux fois palmé à Cannes, invité à présenter leur meilleur film, Le fils, dans le cadre des Rencontres cinématographiques de Seine-Saint-Denis.

Alors de quoi s’agit-il et pourquoi les historiens de l’an 2200 placeront-ils Le fils parmi les oeuvres majeures du nouveau millénaire ? Le fils raconte l’histoire d’un prof de menuiserie (Olivier Gourmet, invité d’honneur permanent de ce blog), qui accueille en apprentissage le jeune homme qui a tué son propre fils. A l’heure où sort Les neiges de Kilimandjaro de Robert Guédiguian dans lequel Jean-Pierre Darroussin cite Jean Jaurès “le courage, c’est d’être tout ensemble, et quel que soit le métier, un praticien et un philosophe”, il faut se rappeler en quoi Le fils place les frères Dardenne, en l’occurrence Luc Dardenne, comme des grands praticiens et philosophes du cinéma, par la manière dont ils ont écrit leurs films dans le sillon de l’oeuvre du philosophe Emmanuel Levinas dont l’invité du Ciné 104 fut l’élève.

Les frères Dardenne ont placé l’altérité au centre de leur cinéma, notion centrale du philosophe français qui voulait mettre à terme à l’égologie ou exaltation du moi de la philosophie occidentale, en plaçant la relation à autrui comme la seule susceptible de nous donner accès à la transcendance. Dans la philosophie d’Emmanuel Levinas, le visage d’autrui nous délivre de l’horreur de l’autre propre à la philosophie enseignée de Platon à Martin Heidegger, en nous donnant accès à la part humaine de l’humanité : “l’épiphanie (apparition) du visage ouvre l’humanité”.

Les films des Dardenne racontent systématiquement l’histoire de l’ouverture d’un individu vers l’humanité d’autrui : le jeune Jérémie Rénier dénonçant son père pour avoir enterré un ouvrier sans-papier sur son chantier dans La promesse, Rosetta dénonçant le jeune homme qui l’aide pour prendre son emploi, un prof de menuiserie tentant de comprendre la vie de l’assassin de son fils dans Le fils, Jérémie Rénier vendant son enfant pour régler une dette dans L’enfant, une jeune albanaise épousant un toxicomane sacrifié avant de payer sa dette dans Le silence de Lorna, Cécile de France s’occupant malgré tout d’un enfant délinquant débarqué de nulle part dans Le gamin au vélo…

Après des décennies de cinéma existentialiste et romantique, obsédé par le moi et l’exaltation du sentiment amoureux, les frères Dardenne ont placé l’altérité au centre du cinéma contemporain. Le cinéma américain des années 70 s’est interrogé sur le fait d’être minoritaire (catholique, juif, noir, etc.) dans le pays le plus puissant du monde, mais cela s’est toujours fait sous le mode de l’égologie, alors que le cinéma de l’altérité ouvre une voie radicalement nouvelle en s’interrogeant sur la manière dont autrui ouvre l’humanité dans un monde qui vient à peine de découvrir que ses ressources n’étaient pas infinies. Quel chemin reste-t-il à accomplir à l’humanité pour emprunter cette voie ? Le fils a répondu à cette question en filmant la détresse d’un père en quête de fils. Ferme les yeux, pèlerin, et laisse-toi embrasser par l’un des plus beaux films du monde.

Le Fils – Film Annonce par CinemaMonAmour

Le fils, au Ciné 104 de Pantin, à 14 heures 45, suivi du documentaire Nous étions tous des noms d’arbres d’Armand Gatti à 18 heures.

Rencontres cinématographiques de Seine-Saint-Denis, du 16 au 27 novembre 2011. Voir aussi les rencontres avec Souleymane Cissé, Hal Hartley, Isabelle Carré, Paul Vecchiali (qui présente les sublimes Le plaisir d’Ophuls et Remorques de Grémillon, ainsi que son film hommage à sa mère et à son actrice fétiche Danielle Darrieux, En haut des marches) et Kathy Sebbah.

Les neiges du Kilimandjaro de Robert Guédiguian : Jean Jaurès et Spiderman dans un bateau

Les Neiges du Kilimandjaro : photo Robert Guédiguian

Entre les histoires de revolver en guise de substitut de pénis et les problèmes d’adultère du Quartier Latin, Robert Guédiguian occupe une place à part dans le cinéma français depuis exactement trente ans en creusant le sillon étroit du cinéma populaire de qualité.

Certains de ses films agacent par son oubli de filmer pour transmettre à tout prix un message, mais il touche parfois au sublime comme aujourd’hui avec ses Neiges du Kilimandjaro. Il dit être allé chercher chez les Pauvres gens de Victor Hugo cette histoire de marseillais modestes agressés chez eux par un jeune ouvrier licencié en même temps que Michel (Jean-Pierre Darroussin). Il offre surtout un grand film contemporain sur la réponse à la violence dans un contexte où chacun risque la dégringolade sociale.

Ils ont pourtant tout pour être heureux, Michel et Marie-Claire (l’émouvante Ariane Ascaride), avec leur petite maison dotée d’une terrasse sur le port de Marseille, leurs enfants (dont la très impressionnante Anaïs Demoustier, qui jouait déjà la fille de Darroussin dans Les grandes personnes) et petits enfants. L’agression chamboule leur vie : les deux couples d’amis s’enfoncent dans la dépression et se dispute, le beau-frère de Michel lui reprochant de culpabiliser d’avoir dénoncé leur agresseur identifié par hasard (Grégoire Le Prince-Ringuet).

Que s’est-il passé pour assister à une telle déconscience de classe, se demande Robert Guédiguian ? Il filme le désarroi d’une génération qui pensait changer le monde par les urnes et la rue, et continue de trouver un sens à sa vie dans le souci de l’autre. Le couple remonte la pente en prenant la main des petits frères de l’aîné violent pour mettre un terme à la spirale de la violence. Le cinéaste, conscient de toucher un sujet en or, semble plus attentif à la qualité de ses cadres et du jeu que dans ses précédents films. Il est le plus grand héritier de Pagnol avec cette fable provençale où la caméra filme des héros ordinaires qui retournent en résistance.

L’ordre et le morale de Mathieu Kassovitz : la caverne et la lumière

L'Ordre et la morale : photo Mathieu KassovitzC’est l’un des meilleurs comédiens français, l’un des seuls à être capable d’endosser le rôle d’un homme normal aux pouvoirs de superhéros. C’est aussi un cinéaste important qui signe son meilleur film depuis La haine, qui est devenu l’étalon du cinéma de ghetto, célébré par Michael Mann et beaucoup imité, pour le meilleur et pour le pire.
Il sort aujourd’hui en salle un film qui l’occupe depuis dix ans, L’ordre et la morale, consacré à la négociation entamée par le capitaine Philippe Legorjus du GIGN, qu’il interprète, pour faire libérer les vingt-sept gendarmes pris en otage en mai 1988 par une troupe de rebelles kanakes qui demandaient l’abrogation de la loi Pons en Nouvelle-Calédonie (qui visait à accroître le pouvoir du Territoire Nouvelle Calédonie aux mains de la droite loyaliste au détriment des trois régions au pouvoir du FLNKS indépendantiste).
Mathieu Kassovitz renoue avec le cinéma politique de ses aînés, Costa-Gavras en tête, qui pense que le cinéma a une fonction de dévoilement de la vérité sur la dictature grecque (Z), les méthodes de torture sous le bloc soviétique (L’aveu), ou le silence de l’Eglise face à l’extermination des juifs d’Europe (Amen). Le cinéaste s’est aussi inspiré de la narration américaine du cinéma d’enquête et politique qui va des Hommes du président aux séries américaines brillantes en termes de storytelling comme par exemple The wire. Kassovitz filme en cinémascope dans des décors de rêve la violence des rebelles et de l’armée prise dans l’étau de l’élection présidentielle de 1988 et de la rivalité entre Chirac et Mitterrand.
On sent le cinéaste préoccupé par le besoin de donner la parole à chaque groupe afin de relever la part de responsabilité de l’ensemble des parties, tout en dénonçant l’héritage du passé colonial de la France. Ce système qui donne parfois des dialogues un peu lourds nous fait partager le désarroi du brave capitaine Legorjus qui s’apprêtait selon ses dires à obtenir la reddition des Kanakes lorsque le Président et le Premier Ministre ont donné l’ordre de donner l’assaut à deux jours du second tour de la présidentielle.
L’ordre de la morale participe finalement de la morale du cinéma d’action américain avec son personnage de brave homme seul contre tous, une femme aimante en métropole (l’excellente Sylvie Testud) et un side-kick rapidement désarçonné (le trop rare Malik Zidi). Le spectateur sort avec son personnage et les otages de la caverne de ses mauvais souvenirs sur l’événement, mais cet accouchement platonicien nous renseigne peu sur la culture kanake filmée de manière world cinema et le système de chefferie vanté par le chef des preneurs d’otage probablement assassiné par les militaires après l’assaut. Souhaitons toutefois que ce film qui représente dignement les Kanakes trouve sa place face au succès de l’automne qui aligne tous les préjugés sur les noirs rigolos et bons danseurs.

Contagion de Steven Soderbergh : le cauchemar de l’intimité globale

ContagionMadame Bovary mourait empoisonnée après avoir aimé ailleurs. Ici, elle (Gwyneth Paltrow) attrape le virus (elle a trop touché, trop souri, trop aimé les Hong-Kongais, son amant, etc.) et meurt à son retour aux Etats-Unis aux côtés de son mari, Matt Damon, prolétaire et superhéros sans équivalent en France. Le virus se répand, les autorités sont débordées, les protocoles médicaux sont bureaucratiques…
Dans l’étagère de la cinéphilie consacrée aux films de virus, on se souviendra de Steven Soderbergh pour s’être moqué de la vulnérabilité du village global mis à terre par un virus dérivé d’une chauve-souris et un blogueur qui attise la théorie du complot (les Français et les Américains réserveront le vaccin aux plus riches, on peut guérir grâce au Forsythia, etc.).
Le cinéaste américain plus jeune lauréat de la Palme d’Or avec Sexe, mensonges et vidéo (déjà une histoire d’adultère et d’intimité déballée) a gardé de Robert Altman le sens des histoires croisées pour faire vivre en quelques minutes des personnages hauts en couleur de très grandes comédiennes, Kate Winslet, Marion Cotillard ou Gwyneth Paltrow. Il donne à ses personnages masculins les clés de la manipulation scientifique, militaire et politique, à l’exception de Matt Damon bien sûr, pour ouvrir le champ de l’amour (féminin) et de la barbarie (masculine). Dans son paysage de survivants, aussi seuls qu’à la fin de Titanic, point une mélancolie pour le monde où l’on s’embrassait à pleines bouches et se serrait les mains sans paranoïa.


CONTAGION : BANDE-ANNONCE VOST Full HD Steven… par baryla