C’était un beau mec narcissique et verbeux, demi-frère d’un célèbre chanteur de variété, qui rêvait de révolution, de redistribution et d’affirmation des oubliés de la République, Juifs, Antillais, noirs, etc. Né en 1944 de parents juifs polonais, son landau sert à transporter les armes de ses parents résistants, ce qui fera dire à son père durant son procès qu’il était “né en prison”. Il meurt assassiné en 1979, le meurtre étant revendiqué par un groupuscule d’extrême droite intitulé Honneur de la police. 15 000 personnes assistent à son enterrement dont Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir.
Christophe Blanc, dans ce film produit pour Canal+, évite comme le Carlos d’Olivier Assayas de christifier son sujet, méthode devenue usuelle et chargée de contre-sens pour présenter les bandits d’extrême-gauche, notamment dans le Mesrine de Richet . Il ne tranche pas sur l’innocence ou la culpabilité de Pierre Goldman concernant le meurtre de deux pharmaciennes Boulevard Richard Lenoir à Paris.
Le cinéaste des personnages ordinaires happés par un drame (Une femme d’extérieur, Blanc comme neige), transforme ce qui aurait pu être un pénible biopic organisé autour de la sainte trinité (misère, ascension, chute) en un film politique sur la douleur des métèques français. Il filme en gros plan un homme instable, caractériel et brouillon, qui passe des milieux gauchistes à la création du quotidien Libération, aux boîtes de salsa et aux bars antillais, avant de rencontrer un rabbin en prison où il apprit l’hébreu. La mise en scène suit son parcours avec un Samuel Benchetrit transcendé, comme une fièvre pleine d’hystérie, de jouissance et de colère qui fonce vers son inéluctable conclusion finale alors que le caractère paranoïaque et puriste du jeune homme éloigne les amis et le fragilise.
Goldman rappelle comme le disait le cinéaste durant la présentation du film au Ciné 104 que si la France n’a pas connu des mouvements terroristes aussi violents qu’en Allemagne et en Italie, le rêve de 68 fut surtout porté par ses juifs qui crevaient de la chape de plomb qui recouvrait l’histoire de leurs parents déportés, cachés ou résistants (rappelons que Le chagrin et la pitié d’Ophuls sur la collaboration française ne fut diffusé en France qu’en 1981, le plan sur un policier français dans Nuit et brouillard d’Alain Resnais n’a été remis dans le film qu’en 1997).
Pierre Goldman mourut cinq jours après la naissance de son enfant “juif et nègre”, rêve d’un homme qui pensait par-delà le communautarisme et le rêve puriste de l’extrême-droite française. Christophe Blanc filme en cela le chemin parcouru de Mai 68 aux émeutes de 2005, les deux événements qui ont le plus changé la France depuis la Guerre d’Algérie. L’on peut difficilement rêver de film aussi moderne.