Monthly Archives: June 2011
Festival Côté Court (5) : Franck Vialle et la chambre d’enfance des adultes
Il est tout de même curieux qu’au cinéma, où nous assistons chaque année, et plusieurs fois par an, à l’extermination complète de l’humanité, et à toutes les expérimentations pour tuer un individu, les mots de “queue, chatte et bitte” fassent encore frémir les censeurs.
Franck Vialle, producteur (d’une société qui porte l’un des noms les plus admirables, Le deuxième souffle, titre de l’un des plus beaux films du monde), scénariste, réalisateur et comédien, a décidé d’appeler un chat un chat et une chatte une chatte dans Dreamtimacy, où un couple de classes moyennes de Charente-Maritime régresse à mesure que leur enfant grandit. La mise en scène rappelle les films de Bruno Podalydès par la manière de faire surgir l’étrangeté du quotidien le plus banal, en l’occurrence dans l’agence de location de véhicules dirigée par le héros réalisateur-interprète, où un salarié maghrébin parle mieux chinois que son collègue d’origine chinoise, où la loi de l’emmerdement maximal pourrit la vie du héros (accident de voiture d’un client protégé par sa carte bancaire de champion, collègue absente pour maladie de son gosse, application de la nouvelle méthode de performance en louant le véhicule avec le quart du plein, ce qui rend fou les clients, etc.).
Mais c’est surtout dans la sphère du couple de parents que se joue l’originalité du film, dans la chambre chaude des adultes qui ne jouent plus à frotti-frotta comme si souvent dans le jeune cinéma, mais qui s’y caressent et s’y piquent en dressant le menu de toutes les gâteries qu’ils s’apprêtent à s’offrir. Nous regrettons que le cinéaste ait fait le choix de la morale (la maladie qui oblige les personnages à un brusque retour à la réalité) plutôt que d’aller au bout du retour en enfance, mais les images de ces adultes accrochés au droit à la déraison font un bien fou qui nous rappelle à quel point nous aimons ce film, à quel point nous vivons le cinéma.
Les films primés dans le cadre du Festival Côté Court de Pantin seront projetés le dimanche 26 à 16 heures et 18 heures au Ciné 104
Balada triste d’Alex de la Iglesia : l’éternel retour du fascisme

Festival Côté Court (4) : Kathy Sebbah et Aurélien Vernhes-Lermusiaux, la chute et la relève

Festival Côté Court (3) : Sophie Letourneur ou la joie de la glande inquiète
Qu’a donc bien voulu dire Bach en implorant Dieu, alors qu’il apprenait de retour de voyage la mort de sa femme et de ses deux enfants, que sa joie demeure ? Cette joie inquiète et créative , qui accompagne toute la filmographie de Bergman, s’est diffusée en France par Arnaud Depleschin et aujourd’hui Sophie Letourneur qui a étendu avec La vie au ranch et au Festival Côté Court de Pantin Le marin masqué le principe aux bandes de filles qui font le choix de la joie malgré toutes les déceptions et toutes les désillusions.
Donc dans Le marin masqué, deux parisiennes débarquent à Quimper pour consoler la première (Sophie Letourneur, la réalisatrice), d’avoir dû se séparer de son compagnon pour “ne pas le quitter” (sic). La seconde (Laetitia Goffi) retrouve sur un air de festnoz et dans une ambiance de crêpe au citron le fameux marin masqué du titre (Johan Libéreau, qu’on n’a pas finit de voir), qu’elle a aimé et avec qui elle ne peut s’empêcher de continuer son frotti-frotta.
La cinéaste s’amuse à détourner une Bretagne de carte postale (les crêperies, le bord de mer, la sortie en bateau, etc.) par un noir et blanc moucheté de grains comme si elle avait emballé le tout avec une caméra 16 MM dans les années 70. Seulement nous voilà bien dans les années 2000 avec son cinéma de femmes conquérant qui prend un malin plaisir à envahir les plate-bandes des Messieurs (l’incertitude et le frotti-frotta amoureux, le fonctionnement en bandes, etc.) et à les réduire à l’état de gentils toys inoffensifs.
A côté, le cinéma ouvertement politique est beaucoup moins pop que le film de Sophie Letourneur, mais il faut saluer en Et ils gravirent la montagne de Jean-Sébastien Chauvin un film important avec ses deux jeunes noirs (Perle M’Boyo et Yann Ebongé) qui fuient une usine cauchemardesque où ils ont blessé un homme, avant de s’enfuir dans un décor montagneux à l’américaine, en rejoignant la tradition du cinéma américain de grand espace, de Zabriskie Point à Gerry en passant par Paris Texas. L’incongruité de ces deux jeunes gens dans les paysages montagneux français révèle bien l’immense chemin qu’il reste à parcourir au cinéma français pour devenir démocratique.
Le programme Fiction 5 du Festival Côté Court de Pantin, qui inclut Le marin masqué de Sophie Letourneur, sera rediffusé au Ciné 104 le 21 juin à 20 heures et le 24 juin à 18 heures.
Le programme Fiction 4, qui inclut Et ils gravirent la montagne de Jean-Sébastien Chauvin, sera rediffusé le 20 juin à 20 heures et le 24 juin à 22 heures.
Festival Côté Court (2) : plus grand que la vie
On a tous une grand-mère qui a eu du mal à mourir disait Gilles Deleuze, mais ce n’est pas une raison pour en faire une fiction. Les cinéastes français sont plus que leurs homologues étrangers menacés de réalisme dans un pays où le financement important des chaînes de télévision et l’héritage du roman réaliste du XIXe siècle ont façonné un langage plat et commode qui n’engage à rien.
Le court-métrage est un domaine où il est possible d’explorer des personnages qui se rêvent plus grand que la vie sans mettre une ville à feu et à sang, comme le jeune homme d’origine chinoise de Sous la lame de l’épée de Hélier Cisterne, le timide matheux du fond de la classe qui s’invente une vie de ninja la nuit en taguant dans le métro parisien. L’idée attachante du cinéaste, filmer l’invisibilité dans une ville anthropophage qui dévore les corps et les recrache au cimetière de Pantin, aurait mérité d’être davantage mise en image par la manière dont le personnage se rêve plus grand que les bobos blancs aux cheveux gras qui embrassent sans se forcer les jolies filles.
Dans le même programme, Rêve bébé rêve de Christophe Nanga-Oly possède, derrière les défauts classiques des jeunes cinéastes issus de la FEMIS (une confusion entre l’éloge de la glande et la joie de glander chez Eustache ou Demy, des personnages qui frôlent la caricature, bobos très bobos, voyous très racailles, travestis très grande folle, etc., et des sentiments un peu binaires je t’aime à la folie/pas du tout), un souffle rare porté par ses jeunes amoureux dont l’histoire est brisée par la rencontre de voyous qui refont le portrait du jeune homme consolé par sa mère (la très admirée Elli Medeiros).
Voilà, nous restons un peu notre faim sur les manières d’explorer ce thème passionnant, mais nous attendons avec une grande impatience le premier long-métrage de Thomas Salvador, qui a enchanté le festival en 2010 (son très grand film court De sortie sera projeté au Ciné 104 le 19 juin à 18 heures et à l’Ecran de Saint-Denis le 23 juin à 20 heures), peut-être dans un an et demi, sur un superhéros dans un cadre quotidien.
Le second programme de Fiction du Festival Côté Court de Pantin sera projeté les 19 juin à 18 heures et 21 juin à 22 heures.
Festival Côté Court (1) : Constance Rousseau et la grâce
Georges Didi-Huberman nous a appris que la grande préoccupation des peintres chrétiens était de représenter le mystère divin prenant chair en Jésus-Christ, et que la dissemblance (l’opposé du réalisme) était le moyen privilégié d’une mise au mystère des corps.
Le poids de deux mille ans de christianisme en Europe fait que même le plus athée des cinéastes contemporains en quête de mystère est un héritier de la conception de la grâce des auteurs et artistes chrétiens. Représenter la grâce (littéralement “l’aide de dieu”), c’est toujours aujourd’hui, comme lorsque Guillaume Brac filme Constance Rousseau Un monde sans femmes, prendre le contre-pied du réalisme pour chercher la part de secret qui permet de nous dire que nous sommes face à de l’art, à l’être qui surgit de la toile, du livre, etc.
Le cinéaste est bien entendu aidé dans son très beau film par la jeune comédienne révélée par Tout est pardonné, Constance Rousseau, son joli menton pointu, ses yeux ronds, son grand sourire, sa mélancolie, son air boudeur et fier et son vouloir-vivre qui en fait, dans la chute du film, une femme courageuse en chair et en os qui soulève le monde depuis au moins Stendhal. Un monde sans femmes décrit l’arrivée d’une jeune mère et sa fille étudiante dans la jolie commune d’Ault en Picardie, dans un monde où les hommes qui ont raté le coche des mariages à vingt ans ne peuvent plus se consoler qu’avec leur console de jeu ou les touristes de passage.
La mère séduit le ballot (ce joli mot réinventé par Catherine Frot) qui les accueille sans assumer, puis un gendarme plus offensif, sous les yeux de sa fille triste de voir sa mère se rendre malheureuse avec des hommes qui ne l’aiment pas. Un monde sans femmes est un marivaudage rohmérien par sa manière de marcher sur les pas de Pauline à la plage et Un conte d’été, sa morale du temps et son plaisir à observer le ballet des femmes qui font chavirer les coeurs et les âmes, sans qu’il soit possible de dénouer la part de plaisir de celle de l’inconscient. Le geste final de la jeune femme qui console le malheureux délaissé par la mère restera longtemps gravé comme l’image de la coupure du cordon, de la naissance du sentiment maternel et du désir de femme. Naissance d’une femme aurait pu être un titre tout aussi juste pour ce beau film envoûtant.
Le programme Fiction 1 du Festival Côté Court (qui comprend aussi le beau film cassé d’Angela Terrail et Soufiane Adel, Sur la tête de Bertha Boxcar, avec Reda Kateb d’Un prophète) sera rediffusé le lundi 20 juin à 18 heures et le jeudi 23 juin à 22 heures.
Beginners de Mike Mills : die, deuil, douille

20 ans de Côté Court à Pantin : désir de l’autre, réenchantement du monde
Jeunes gens mal peignés qui rêvez de faire du cinéma, vous seriez bien inspirés en ce début du mois de juin pluvieux de pousser la porte du Festival Côté Court plutôt que d’enrhumer les filles au sujet de l’herméneutique de la fessée chez Godard en buvant un café diarrhéique servi par un garçon mal aimable de la capitale.
Capitaine, Capitaine, qu’avez-vous vu depuis vingt ans à Côté Court ? Nous avons vu O bien des choses en somme sorties du chapeau de Jacky Evrard et de son équipe. Nous avons vu dans une époque de désenchantement et de spéculation maladive, une fringale érotique pour l’autre (Emmanuel Mouret, présent au festival le 24 juin, Mikhaël Hers le 17 juin, Bertrand Bonello le 18 juin), l’affirmation de sexualités condamnées à la clandestinité depuis de nombreux siècles (François Ozon dont le court Une robe d’été sera projeté le 18 juin au Ciné 104, Alain Guiraudie le 23 juin, Laetitia Masson le 19 juin), nous avons vu de grandes espérances sociales (Laurent Cantet, Palme d’or pour Entre les murs, prévu au festival le 24 juin, Erik Zonca le 19 juin), un nouveau souffle poétique permis par les petites caméras numériques et la vivacité du cinéma d’auteur (Pierre Creton le 19 juin, les frères Larrieu le 24 juin), l’émergence du meilleur cinéma de femmes du monde (Laetitia Masson le 19 juin, Marina de Van le 18 juin, Katell Quillévéré le 20 juin), un réenchantement du monde après l’horreur par le devoir de mémoire et l’humour (Emmanuel Finkiel les 20 et 22 juin, Danielle Arbid le 22 juin) et un retour du burlesque sur fond de misère sentimentale (le très grand De sortie de Thomas Salvvador le 19 juin).
Capitaine, Capitaine, parle-nous des jeunes à la jambe agile, au coeur vaillant et à la coiffure hésitante. Il y aura cette année en compétition bien des espoirs comme Maud Alpi que nous admirons beaucoup dans ce blog pour son Nice, Grand Prix à Pantin en 2009, qui revient avec Courir (photo), les18 et 23 juin, et Aurélien Vernhes-Lermusiaux, grand styliste qui comptera parmi les grands le jour où il nous fera l’honneur de nous raconter une histoire, les 19 et 24 juin (n’oublions pas que Hiroshima mon amour, Persona et India song racontent des histoires).
Capitaine, capitaine, n’oublie pas Jeanne Balibar qui vient chanter Par exemple Electre et le chanteur-guitariste de Sonic Youth qui vient gratter, les films expérimentaux de Stephen Dwoskin, les films vidéos de Xavier Veilhan et tous les autres aussi. Non, je n’oublie pas.
Film Annonce du 20ème Festival de Côté Court par festivalcotecourt
Une séparation d’Asghar Farhadi : logique de l’honneur et du rang social
