
L’autre homme qui aimait les femmes de la Nouvelle Vague, c’était lui, Claude Chabrol, né en 1930, qui a filmé presque toutes les grandes actrices du cinéma français depuis cinquante ans, dont le charme tempérait son nihilisme et attirait le public : sa seconde épouse, Stéphane Audran notamment dans son chef-d’oeuvre Le boucher consacré à un tueur en série (exceptionnel Jean Yann) de retour d’Algérie, Bernadette Lafont (Le beau serge, A double tour, dont la scène d’apparition est reprise par Tarantino pour filmer Sydney Poitier Jr. dans Boulevard de la mort) Isabelle Huppert (Violette Nozière, La Cérémonie, Madame Bovary, etc.), Jodie Foster (Le sang des autres, qui a inspiré Tarantino pour Inglourious Bastards), Marie Trintignant (Betty, le meilleur rôle de la disparue avec Série noire), Emmanuelle Béart (L’enfer), Sandrine Bonnaire (La cérémonie), Anna Mouglalis (Merci pour le chocolat), Nathalie Baye et Suzanne Flon (La fleur du mal), Laura Smet (La demoiselle d’honneur), Ludivine Sagnier (La fille coupée en deux, son dernier grand film)…
Bien sûr, ce fils de bourgeois qui a réalisé son premier film grâce à un héritage s’embourgeoisait parfois et filmait sans doute trop souvent pour ne pas éviter quelques navets, mais le bonhomme avait de l’humour, et considérait ses Folies bourgeoises comme le plus mauvais film de l’histoire du cinéma. Cet ancien critique des Cahiers du cinéma admirateur de Fritz Lang et Alfred Hitchcock possédait des anecdotes sur tous les cinéastes de l’âge classique, et a influencé la plupart des cinéastes contemporains de films policiers (voir les nombreux emprunts à ses films chez des cinéastes aussi différents que Christophe Honoré et Quentin Tarantino). Ses premiers films portaient les signes qui allaient devenir sa marque de fabrique : un ton badin, une bourgeoisie française décadente attachée à dissimuler ses vices, le cloisonnement des classes sociales, des seconds rôles exceptionnels, etc.
Après la disparition de François Truffaut il y a 26 ans, nous perdons en moins d’un an deux piliers de la Nouvelle Vague, Eric Rohmer et Claude Chabrol. Celui qui avait mille raisons de disparaître avant eux tous pour donner l’impression d’avoir brûlé sa vie et sa santé, Jean-Luc Godard, les enterrera tous. Truffaut et Chabrol se sont portés caution pour permettre à Godard de filmer A bout de souffle. En plus d’être de grands cinéastes, ces deux-là ont été des passeurs toute leur vie, quand le Godard renonçait à la lutte internationale pour aller boire du thé en Suisse. Si le public se garde bien depuis longtemps d’aller voir les films de ce dernier, il appréciait ceux de Chabrol, qui était selon le Centre National de la Cinématographie le cinéaste dont les films avaient le plus souvent dépassé le seuil des 500 000 entrées en France. Alors que le cinéma français est de plus en plus segmenté par public (Arnaud Desplechin pour les intellectuels, Luc Besson pour les banlieues, etc.), Claude Chabrol a souvent été un rassembleur avec des histoires qui fouillaient dans les coins les plus obscurs de notre histoire (Guerre d’Algérie, collaboration sous Vichy, montée de l’extrême-droite, etc.). Ceux qui passent leur temps à lui jeter la pierre ont intérêt à faire autre chose que du cinéma de “l’indicible” car nous ne les manquerons pas dans ce blog.