Au début du XIXe siècle, certains vivaient de leur plume et s’offraient les meilleures ventes en librairie, on les appelait des poètes. Le cinéma n’est pas encore devenu une filiale de l’industrie des jeux vidéos car il a aussi besoin des films-poèmes pour garder son âme, comme ce livre d’images sublime qui nous vient de la botte, La bocca del lupo de Pietro Marcello.
Le documentariste filme un paumé gênois qui a la gueule des seconds couteux des films de mafia, Enzo. Il a passé vingt-sept ans derrière les barreaux pour avoir tiré sur deux policiers qui rackettaient sa boîte de nuit. En prison, il est tombé sur l’amour de sa vie, Mary Monaco, un transsexuel qui subissait les brimades des gardiens jusqu’à ce qu’il explique qu’il tuerait tous ceux qui feraient du mal à Mary.
Cette histoire d’amour hors norme de deux perdus du miracle du nord italien, lui condamné à la délinquance par la pauvreté de son père sicilien, elle condamnée à la marge par sa sexualité, est entrecoupée des images qui racontent les douleurs des ouvriers génois : l’omniprésence de la mer qui appartient à tout le monde, la gloire et la disparition des chantiers navals… Les errances d’Enzo dans les rues de Gênes sont réchauffées par la musique de Büxtehude que quelques chanceux ont découvert lors de la Folle Journée Bach grâce à ce magicien de René Martin, et L’eau à la bouche de Gainsbourg.
Elle l’a attendu malgré toutes ces années de prison, et à leur manière ils ont assouvi leur rêve de maison au bord de la mer, entourés de leurs chiens, selon le même cycle que dans La divine comédie de Dante : le paradis est d’autant plus précieux à ceux qui se sont brûlés aux flammes de l’enfer.
Noël ! Noël ! Ou plutôt Ooyorokobi (attention à l’accent sur le “Oo”), la Cinémathèque ouvre aujourd’hui la rétrospective consacrée au cinéaste japonais Akira Kurosawa (1910-1998) pour le centenaire de sa naissance. Imaginez la joie des hordes de cinéphiles les plus louches, de ceux qui pleurent lorsqu’ils rencontrent un confrère qui connaît comme eux le nom de l’assistant décorateur de Ben Hur (heureusement qu’ils ne sont pas trop nombreux car il finirait par y avoir une loi contre eux) !
Bien sûr, Akira Kurosawa a beaucoup fait pour devenir le plus célèbre cinéaste japonais en occident, avec sa culture mêlée de Dostoïevski (dont il adapta L’idiot), de Shakespeare (Ran est une adaptation du Roi Lear), de John Ford (toutes ses cavalcades de samouraïs rappellent le maître américain) et de films noirs (sa trilogie Chien enragé, Les salauds dorment en paix et Entre le ciel et l’enfer, qui doit beaucoup aux films noirs américains, est très admirée par James Ellroy).
Mais il est aussi le plus grand cinéaste du rapport entretenu par l’homme et la violence qu’il déclenche. Il est même l’un des seuls à avoir confronté ses héros aux conséquences de leur violence par une autre voie que la rédemption (Scorsese) ou la punition (George Lucas). L’homme dont le frère doubleur de films s’est suicidé et qui a vu son pays ravagé par la guerre en connaissait un rayon en matière de violence. Son plus beau film, Entre le ciel et l’enfer (le 9 juillet à la Cinémathèque), oppose un grand patron de Tokyo à l’homme qui a ravi son fils. Leur face à face à la fin du film est l’une des plus belles scènes de l’histoire du cinéma. Chien enragé (22 juillet) ou la quête d’un policier après son pistolet dans le Tokyo de l’après-guerre est un film d’une poésie inouïe, notamment lorsqu’une pauvre dame s’allonge par terre et contemple le ciel en disant : “cela fait des années que je n’avais pas vu les étoiles”.
Bien sûr, Akira Kurosawa est surtout connu pour ses films de samouraïs, notamment le plus célèbre d’entre eux, Les sept samourais (le 4 juillet à la Cinémathèque), qui a donné lieu à une célèbre adaptation en western par Preston Sturges, Les sept mercenaires. Sergio Leone s’est même emparé de l’intrigue du Garde du corps (le 7 juillet) dans Pour une poignée de dollars. Ce n’est pas un hasard si la rétrospective ouvre ce soir 23 juin sur le plus sublime des films de samouraï, Ran (“Chaos” en japonais), l’adaptation libre du Roi Lear, ou l’histoire d’un roi de l’ère médiévale qui écarte son fils le plus franc de son héritage, pour confier son royaume à ses deux fils les plus cupides.
Akira Kurosawa, ou des seigneurs face à la violence qu’ils déclenchent par leur richesse (Entre le ciel et l’enfer), leur orgueil (Ran), leur courage (Les sept samouraïs, où les guerriers s’effacent devant le courage des paysans qui les oublient)… Quelle part de violence est-elle acceptable en démocratie, n’aura cessé de demander le maître japonais ? Voilà une question que l’on doit se poser tous les jours, que chaque film d’Akira Kurosawa nous pose en nous imposant de voir le monde au-delà de notre position sociale et culturelle.
Ce cinéaste néerlandais surtout connu pour RoboCop et Basic Instinct, admirateur de Hitchock et Rembrandt, amateur des histoires violentes des empires (l’Europe chrétienne, les Etats-Unis, le nazisme, l’Europe d’après-guerre, etc.), et trop souvent réduit à ses films les plus cyniques par ses détracteurs (Showgirls et Starship Troopers), fait l’objet d’un beau livre d’interview et d’analyse, Paul Verhoeven, Au jardin des délices par le chercheur français Nathan Réra.
Il était temps de rappeler l’importance de ce grand cinéaste du corps sacré (la beauté virginale de Sharon Stone dans Basic instinct, de Carice Van Houten dans Black Book) et supplicié (le cancer dans Turkish delight, le viol dans Kattie Tipel, l’humiliation et la torture dans Black Book), qui a réussi à se mettre à dos au cours de sa carrière tous les bien-pensants.
Ses films de la période néerlandaise encore trop souvent méconnus en France méritent pourtant toute l’attention des cinéphiles. Triomphes publics aux Pays-Bas, Turkish Delight (la dérive d’un couple d’artistes) en 1973, Katie Tippel (la survie d’une jeune néerlandaise pauvre au début du XXe siècle par la prostitution), Soldier of Orange (la violence de la résistance à l’occupation nazie et le caractère aléatoire des destinées) et Spetters (la dérive de jeunes motards, qui a pu inspirer La vie de Jésus de Bruno Dumont) ont imposé un grand cinéaste que l’on pourrait qualifier de nietzschéen si l’on entendait bien par ce terme l’attention à des personnages qui se situent par-delà le bien et le mal et plus généralement toute forme de morale.
L’histoire du continent européen est violente, ce qu’il rappelle avec force dès son premier film américain (La chair et le sang), tout comme celle des Etats-Unis qu’il n’a cessé d’exposer durant sa période américaine : répression de la violence urbaine par l’ultra-violence des années reaganiennes (RoboCop, Starship Troopers), colonisation de l’espace et des rêves (Total Recall), lutte des sexes pour le pouvoir et l’argent (Basic Instinct, Showgirls).
Même les plus sceptiques ont fini par s’incliner devant Black Book, retour du cinéaste aux Pays-Bas pour l’histoire d’une juive obligée de coucher avec un officier allemand pour survivre dans les luttes de pouvoir au sein de la résistance néerlandaise. L’influence du film est déjà palpable dans toutes les productions américaines qui se penchent sur cette période (Inglourious Basterds, Walkyrie, etc.).
Seul cas connu d’une carrière triomphale dans son pays et aux Etats-Unis dont chaque période suffirait à elle-même pour placer Paul Verhoeven parmi les plus grands, le cinéaste pourrait commencer avec Black Book et son retour en Europe une nouvelle étape de sa quête de représentation d’un monde impur et violent : “Un viol n’est rien de plus qu’une expression de violence. Or si le viol est filmé de manière elliptique, il devient impossible de montrer l’arme du crime. C’est la raison pour laquelle j’ai essayé à pluseiurs reprises, de montrer cette “arme”, à savoir le pénis de l’homme en érection. Personne ne semble éprouver le monidre problème, sûrement pas aux Etats-Unis, lorsqu’au cinéma, un criminel brandit une arme à feu et l’utilise pour tuer ses victimes. Mais lorsqu’il s’agit de “l’arme ultime”, à savoir un pénis en érection, principalement utilisée contre les femmes, les gens dse détournent ! Filmer le mal trop souvent tu, c’est entrer dans une forme de résistance.”
Paul Verhoeven Au jardin des délices de Nathan Réra, Rouge Profond, 22 euros
Le titre de mon film Les moissons est un clin d’oeil aux Moissons du ciel (Days of Heaven) de Terence Malick, moins un hommage qu’une manière de dire que je suis passé par cet émerveillement, que j’ai planté ma tente sur cette terre. Il faudrait parler de la lumière oscarisée de Nestor Almendros bien sûr, le chef-opérateur célèbre en France de Rohmer (Ma nuit chez Maud), Truffaut (L’enfant sauvage, Domicile conjugual) et Barbet Schroeder (Maîtresse), qui filma les plus beaux plans du film durant l’heure bleue, lorsque le soleil est couché mais qu’il ne fait pas encore nuit, dans la province de l’Alberta au Canada censée représenter le Texas.
Ce film maudit en son temps, qui sort en copies neuves cette semaine, allait condamner son cinéaste au silence de 1978 à 1999 pour son retour avec La ligne rouge.Les moissons du ciel était sans doute trop lent pour le cinéma américain de l’époque, dans lequel les plans-séquences de Coppola pour Le Parrain étaient densifiés par une violence omniprésente.
Terence Malick n’était pas un homme des années 70. C’était un traducteur de Heidegger hanté par le cinéma européen, la peinture d’Edward Hopper et une philosophie de la chute de l’homme, de l’étrangeté du monde (deux thèmes du philosophe allemand vulgarisés par Albert Camus) qui était au coeur des cinématographies de Bergman et Antonioni.
Les moissons dans le ciel jette dans le monde des innocents, Richard Gere et Brooke Shields, dont l’histoire est racontée par les yeux de la petite Linda, l’ange blond qui est la soeur du premier. Les deux autres jouent au frère et au soeur lorsqu’ils débarquent comme saisonniers chez un riche propriétaire de champs de blé du Texas. L’homme tombe amoureux de la jeune femme, Richard Gere y voit une opportunité pour sortir de la misère, d’autant plus qu’il a le sentiment que le propriétaire est condamné par une maladie. Et la belle brune de tomber amoureuse de la douceur du Texan qu’elle épouse.
Le trio amoureux importe moins que la manière avec laquelle les personnages s’accrochent à ce paradis originel, comme si la vie n’avait de sens que dans cette fusion avec le monde et nos proches, que la lutte ne valait que pour conquérir un regard amoureux ou tout simplement un sourire sur le visage de ceux que l’on aime. Un cinéaste n’est pas toujours de son époque, parfois en avance (Citizen Kane avait dix ans d’avance sur le cinéma américain) ou en retard, comme ces Moissons du ciel qui ressemblaient finalement au cinéma européen des années 50. Etrangement, voilà un homme, Terence Malick, devenu avec Le nouveau monde en 2006, dans lequel les Conquistadores découvrent en mettant le pied sur le sol américain, le visage de l’autre, l’Indien, un cinéaste profondément contemporain.
Le cinéma, c’est filmer un visage qui entre en résistance. David Griffith a inventé l’injustice, Eisenstein la colère, Fritz Lang les pulsions de meurtre, John Ford la fraternité, Luis Bunuel le rêve, Ozu le néant, Jean Renoir l’égalité, Antonioni et Bergman l’étrangeté du monde, Kurosawa la polyphonie, Hitchcock l’angoisse, Godard l’opposition, Nicholas Ray, Truffaut et Pialat l’adolescence, Varda la féminité, Fassbinder et Almodovar la confusion des genres, etc.
Un cinéaste moderne connaît le chemin parcouru pour faire du cinéma aujourd’hui et ne se contente pas de recycler les promesses du passé. Le Festival Côté Court offre avec La guitare de diamants de Frank Beauvais un vrai cinéaste moderne, qui filme les jeunes non à la manière de la Nouvelle Vague, avec des bobos en train de glander à une table (ce geste était peut-être révolutionnaire sous le gaullisme, lorsque les jeunes étaient suspects, mais désormais que même le Président veut sembler jeune…), non à la manière des années 80, comme des adolescents qui n’en peuvent plus d’être seuls dans un monde trop étroit pour eux, mais comme un cinéaste des années 2000 à la recherche de nouvelles utopies et de nouveaux horizons. On n’avait pas vu plus belle histoire d’amour champêtre depuis Sur la route de Madison de Clint Eastwood que cette rencontre entre un chanteur de folk américain fauché, Matt Bauer venu se promener en Alsace, et une jeune maman.
Le jeune musicien bouscule les préjugés du village par son mode de vie et sa tenue de hippie. Les deux mondes se réconcilient autour d’une fête de village au cours de laquelle l’Américain et la Française chantent ensemble sur scène. Cette main tendue qui marque la réconciliation progressive entre les deux continents après le cirque de 2003, thème d’un autre film attachant du festival (Far from Manhattan de Jacky Goldberg), se double d’une ode à la liberté pour célébrer une utopie rousseauiste qui se déroule à la marge du monde, loin de l’anthropophagie parisienne.
Le programme qui contient La guitare de diamants sera de nouveau projeté le jeudi 17 juin à 19 heures. Les films promus pendant le Festival Côté Court seront projetés le samedi 19 juin à 18 heures et 20 heures.
Il n’est pas donné à tout le monde de redevenir enfant comme Brad Pitt dans L’étrange histoire de Benjamin Button. Le cinéaste-acrobate-pongiste-fan de Jacky Chan, Thomas Salvador, est en train d’y parvenir. Ses films le mettaient jusqu’à présent en scène, grand gamin bien peigné apprenant sagement avec un ouvrier des gestes ridicules et inutiles sur la carcasse d’une machine (Une rue dans la longueur, photo), prenant racine au sens propre du terme pour devenir-arbre (Là ce jour), animateur de colonie devenant l’enfant du groupe de petits qu’il est censé superviser (Petits pas), célibataire préparant son appartement pour y venir avec une belle avant d’y revenir seul pour y lancer sa boîte de sel en triple salto arrière d’une manière qui fera date, parler seul (il faut le voir lire Le Monde avant de dire “quoi ?” à un partenaire imaginaire, dans le vide) et danser comme un gamin sur du hardrock pourri (De sortie).
On n’avait pas reçu d’aussi bonne nouvelle du retour du burlesque en France depuis la mort de Jacques Tati. Thomas Salvador finalise le scénario de son premier long-métrage, une histoire de super-héros dans laquelle son rôle de pantin solitaire sera joué par Vincent Rottiers (l’excellent comédien d’A l’origine, Je suis heureux que ma mère soit vivante, etc.). L’homme qui se défend tellement de parler du corps, et même de parler tout court, montre pourtant dans un grand éclat de rire une nouvelle piste pour ceux qui ne cessent de se cogner au monde : tordez-vous !
A quoi rêvent les gens dans le métro parisien ? Madame Bovary rêvait de vivre en pagne sur une île déserte avec un prince charmant. Le plus célèbre chauffeur de taxi de l’histoire de cinéma rêvait de devenir quelqu’un de célèbre. Tony Montana était prêt à tuer père et mère pour sortir les mains de la graisse et les couvrir d’or. Puisque la narration classique du cinéma est basée sur le fait que A veut désespérément B (argent, amour, gloire, vengeance, etc.) et que C (destin, guerre, maladie, etc.) fera tout pour l’en empêcher, ce n’est pas pour rien que le cinéma a pris le surnom d’usine à rêves.
Un cycle de court-métrages du Festival Côté Court de Pantin présente les lieux où se terminent ou commencent les rêves. La baie du renard (photo) réalisé par le comédien Grégoire Colin (La vie rêvée des anges, 35 rhums, Sex is comedy) filme un adolescent de la région de Marseille qui rêve de meurtres sur des bobos en goguette sur un yacht.
La passagère de Florent Darmon montre crûment la misère du travail des prostituées de l’est dans la campagne française, le ballet des voitures des hommes et des voyeurs, la brièveté et la monotonie des rapports sexuels, etc.
Le très beau film d’Antoine Parouty, Des rêves pour l’hiver, suit la formation, les aventures et les répétitions d’un groupe de Hardcore en pleine campagne. Teen, un adolescent beau comme un camion, quitte sa mère avec laquelle il ne s’entend plus, erre dans la campagne et forme un groupe de rock avec quelques amis. Il règne dans cette histoire d’adolescents qui tentent de donner une forme à leurs rêves en faisant le choix de l’autogestion un air d’utopie à portée de main.
La série repassera au Ciné 104 le lundi 14 juin à 19 heures et le jeudi 17 juin à 21 heures.
Un ami qui travaille dans la banque à New York m’expliquait il y a quelque temps qu’on lui avait formellement déconseillé lors de son embauche d’offrir des cadeaux à ses collègues féminines, de les complimenter sur leur tenue et même finalement de leur parler. Après les années cinquante de l’incommunicabilité, voici après les années sida et le puritanisme l’ère de l’intouchabilité.
Deux séries de court-métrages du Festival Côté Court de Pantin explorent ce thème douloureux. Dans la série 3, Thermidor de Virgil Vernier raconte le rêve de royauté d’un semi-clochard de Belleville. Après The passenger qui nous avait agacés l’an dernier en partant à la recherche d’Antonioni sur un air de Chris Marker en occultant l’arrière-fond politique de ces deux cinéastes (la politique est-elle devenue un gros mot pour les jeunes cinéastes ?), Aurélien Vernhes-Lermusiaux revient avec Le rescapé qui confirme son incroyable maîtrise technique. Cette histoire de petit garçon semblant venir d’outretombe qui place tous ceux qu’il croise face à leurs peurs confirme le talent de ce grand styliste.
Hallo Papi de Salma Cheddadi (photo) présente le double (ou triple avec le doux parfum d’orient de la cinéaste) exotisme de nous venir de Germanie avec l’histoire d’une germano-thaïe au téléphone avec son père apparemment de retour au pays. Don’t touch me please de Shanti Masud filme à l’ancienne de beaux jeunes parisiens qui ont du mal à se toucher sur des rocks d’antan. L’ambiance rétro et la beauté des dames font beaucoup pour la réussite de cette carte postale filmée qui fait rêver que les clips soient filmés en plan-séquence.
Dans la série 6, Adieu Molitor de Christophe Régin filme un “espoir déchu”, comme on dit pudiquement, du Paris Saint-Germain. La programmation de ce film est un pied de nez du Festival à la Coupe du Monde qui lui vole quelques spectateurs qui passeront les prochaines semaines à expliquer qu’ils n’aiment pas le foot, mais qu’ils sont invités à une soirée chez des potes. Elle permet aussi de revoir la belle Adèle Haenel de la Naissance des pieuvres et de donner à voir enfin un film qui ressemble à du cinéma sur le foot.
Enterrez nos chiens de Frédéric Serve est un film comme on aimerait en voir plus souvent, un collage d’images sur un fait divers banal de la campagne française, liée à la jalousie d’une vie entre deux hommes racontés en voix off par les excellents Marc Barbé et Denis Lavant (en trois ans de travail au Théâtre de la Croix-Rousse à Lyon, Denis Lavant venu jouer Francis Bacon est le comédien qui m’a le plus ému, le plus impressionné, le plus parlé). La belle Marie Caillois attire les convoitises des deux rudauds qui s’enfoncent dans la haine, dans une atmosphère semi-fantastique qui rappelle l’univers de l’un des invités permanents de ce blog, Jacques Tourneur. On en redemande en 35 mm car la copie vidéo diminue quelque peu l’aspect cosmogonique de ce film ambitieux.
Enfin, Donde esta Kim Basinger ? d’Edouard Deluc raconte l’errance de deux paumés à Buenos Aires. Voilà, et comme dit Jean-Claude Carrière dans le magnifique Copie conforme d’Abbas Kiarostami, “elle veut juste que vous lui mettiez la main sur l’épaule.”
La série 3 (Thermidor, Le rescapé, etc.) sera rediffusée le dimanche 13 juin à 21 heures et le mercredi 16 juin à 19 heures, la série 6 (Adieu Molitor, Enterrez nos chiens, Donde esta Kim Basinger ?) sera rediffusée le dimanche 13 juin à 19 heures et le mercredi 16 juin à 21 heures.
Si les hommes prennent plaisir à évoquer leurs prouesses sexuelles réelles ou imaginaires, il existe une terre quasiment inconnue à explorer pour les écrivains et cinéastes du XXIe siècle, à savoir le désir et surtout le plaisir féminin. Après tout, “On ne sait pas ce que peut le corps” écrivait le philosophe Spinoza, qui pour des raisons de santé ne pourra être présent au festival.
Si vous ne connaissez rien au corps, la 19e édition du Festival Côté Court de Pantin intitulé “Côté Court, Côté Corps”, vous offre quelques séances d’exploration de la psyché féminine, à commencer par une soirée alléchante dite des Trois Catherine, avec Catherine Millet (auteur passionnante de La vie sexuelle de Catherine M. et Jours de souffrance, qui seront peut-être un jour au XXIe siècle ce que Le rouge et le noir est au XIXe), Catherine Robbe-Grillet et la cinéaste Catherine Corringer, le vendredi 11 juin à 21 heures.
Le corps sera aussi secoué par le travail du vidéaste Raphaël Siboni, compère du célèbre plasticien-vidéaste Fabien Giraud, sur les films du pornographe HPG, le lundi 14 juin à 20 heures, suivi d’un débat en présence de ces messieurs.
Le plaisir continue avec une rétrospective consacrée à l’oeuvre du prestidigitateur et acrobate Thomas Salvador, qui présentera ses films dimanche 13 juin à 17 heures 30, au cours d’une séance tout public, au contraire de celles sus-nommées.
Notre admiration pour la cinéaste libanaise Danielle Arbid nous amène à vous recommander chaudement la soirée qui lui est consacrée au Méliès de Montreuil les lundi 14 juin à 20 heures 30 et jeudi 17 juin à 20 heures 30, avec une projection de ses courts, en particulier les hilarantes Conversations de salon, où des femmes libanaises dissertent des hommes et de politique, et This smell of sex, sur la sexualité des Libanaises.
Et puis si en dernier recours vous ne m’aimez pas, vous pouvez toujours passer devant le Ciné 104 en criant “Noctambules, c’est nul”, puisque mon court-métrage du même nom (Noctambules) sera projeté le vendredi 11 à 22 heures et le mardi 15 à 18 heures. A cette heure-là vendredi, les Bleus auront déjà pris deux zéro contre l’Uruguay, alors il n’y aura vraiment rien à la télévision.
Le XXe siècle a inventé un monstre (au sens originel de montrer), le rebelle auquel tous les excès (drogue, sexe, violence, etc.) sont pardonnés à partir du moment où il vend des disques, remplit les stades de foot ou les salles de cinéma. Il est le pendant indispensable d’une société où le libéralisme de l’argent est impensable sans un certain conservatisme des moeurs.
Jim Morrison, chanteur poète des Doors (1943-1971), fils d’un amiral de l’armée américaine chargé de commander les troupes qui bombardaient le Vietnam, fut l’un des plus talentueux et des plus médiatiques d’entre eux.Tom DiCillo lui consacre un beau documentaire porté par la voix d’un autre poète rebelle, Johnny Depp, qui a fait le choix d’une vie plus longue et donc nécessairement plus sage.
Fruit d’une décennie de violences marquée par l’assassinat d’un président américain, de son frère, du leader de la cause noire et la mort sous overdose à 27 ans de Jimi Hendrix et Janis Joplin, The Doors est le maillon incontournable entre Elvis Presley et le rock contemporain, porté par des musiciens formés pour le guitariste au flamenco et le pianiste à Jean-Sébastien Bach. La carrière du groupe s’ouvre et se referme sur un scandale, des paroles de The end lors de l’un de leurs tous premiers concerts (“Mother, I want to fuck you all the night”), au happening provocateur devant le public puritain de Miami (“I’m going to show you my cock” – attention, cock est un faux ami en anglais).
Le documentaire caresse donc le visage de ce demi-dieu blanc, icône christique crucifiée à 27 ans dans sa baignoire d’un appartement parisien. Voilà comment naissent les mythes, nous dit le documentaire, lorsque la société en crise déifie ses créatures les plus radicales pour les accentuer le fait qu’elles demeureront à jamais inaccessibles. Le reblele, pour survivre, doit avancer sur la corde raide de la provocation et de la respectabilité à moins de mourir seul pour devenir légende. Il n’y a eu qu’un chrétien, et il est mort sur la croix, disait Nietzsche. Il n’y a que peu de rock stars, et le public qui les admire aime les regarder tomber de temps en temps pour se dire que la normalité est sauvegardée.