
Bruno Dumont, le cinéaste de la découverte violente de l’altérité (une petite frappe du nord qui comprend la portée du crime qu’il a commis en martyrisant un jeune Arabe dans La vie de Jésus, un brave homme policier qui découvre que son meilleur ami est un violeur dans L’humanité, un américain loser qui perd son humanité en même temps que son visage dans 29 Palms, un paysan du Nord qui découvre l’amour lorsque la femme qu’il a violée en temps de guerre le gracie dans Flandres) poursuit sa quête avec Hadewijch, où une jeune mystique désire le Christ pour oublier sa haine du corps des hommes.
Le passage de cette jeune femme de la bourgeoisie richissime des appartements de l’ïle Saint-Louis aux tours sordides de banlieue (mais dotées d’une vue sublime sur Paris, où l’on repère l’humour discret du cinéaste), puis au terrorisme international via la Palestine ou le Liban, est un peu grand-guignol. Mais c’est surtout sa geste qui compte ici, comme dans un roman médiéval, la manière dont elle découvre, sans psychologie, la puissance d’un visage humain.
On pourrait dire par goût de la provocation que le cinéma a souvent trente ans de retard sur les sciences humaines, le temps que les idées soient vulgarisées et acceptées par le système de production : les recherches de Freud sur la psychologie humaine trouvent un serviteur hors pair avec Alfred Hitchcock, la sociologie aura son chef-d’oeuvre avec La règle du jeu (1939), la théorie de la phénoménologie du Dasein (être-là) de Heidegger, publiée en 1929, sera mise en image par les personnages errants, victimes de l’angoisse (concept vulgarisé par l’absurde chez Camus et le néant chez Sartre) d’être “étrangers, chassés de chez soi”, dénués de psychologie, des films d’Antonioni dans les années 50, et la suite de la phénoménologie par Emmanuel Levinas, publiée surtout dans les années 70 et 80, a trouvé des héritiers en les frères Dardenne et Bruno Dumont.
Le philosophe français a substitué la notion d’éthique et la présence d’autrui à celle de l’être que Heidegger avait placé au centre de sa philosophie, qui a été incapable d’empêcher son engagement dans le nazisme. Chez Lévinas, le visage humain interdit le meurtre par son dénuement et la manière dont il exprime l’altérité, comme à la fin du Fils des Dardenne, leur meilleur film, où Olivier Gourmet était incapable face à son visage de tuer le meurtrier de son enfant.
La comparaison fréquente entre Bruno Dumont et Robert Bresson est un contresens car le second filmait la manière dont l’homme se dépouillait du monde pour se rapprocher de Dieu, alors que Bruno Dumont dépouille le monde pour filmer des errants en quête de visages. En ce jeune XXIe siècle, Hadewijch illustre un paradoxe passionnant : même pour un cinéaste athée, ce sont encore les mystiques et les fous qui illustrent le mieux la voie qui mène de soi vers autrui.
Rencontre avec Bruno Dumont à l’issue de la séance le Mardi 1er décembre à 20 heures 30 au Ciné 104 de Pantin, 104 avenue Jean Lolive, 93 500 Pantin, métro Eglise de Pantin (ligne 5).