En recevant le César du meilleur film, Martin Provost souligna sans cynisme que la crise de 1929 avait fait disparaitre la peintre d’art primitif Séraphine de Senlis, mais que la crise actuelle favorisait son succès.
En l’espace d’un an, Yolande Moreau a fait ressusciter avec succès deux personnages totalement absents des écrans, d’une part les ouvrières dont l’usine est délocalisée à l’autre bout du monde dans Louise-Michel, d’autre part cette peintre d’art primitif quasiment oubliée, Séraphine de Senlis, qui lui vaut le César de la meilleure comédienne pour le rôle d’une femme de ménage qui peignait au début du XXe siècle sous l’inspiration des anges, et fut sauvée de l’oubli par l’obstination d’un marchand allemand francophile, interprété par l’excellent comédien Ulrich Tukur.
“J’ai appris qu’une morte, soulevée, peut devenir soleil“, écrivait le poète breton Eugène Guillevic. C’est toute l’entreprise de Martin Provost que de soulever cette pauvre Séraphine de Senlis, moquée toute sa vie pour sa simplicité, mais sauvée par la grâce de la nature et de la peinture. Le film porte la marque du Van Gogh de Pialat par sa manière de transformer chaque plan en tableau mouvant, mais là où la misanthropie de Pialat tirait son film vers le mythe de l’artiste maudit, la bonté de Martin Provost transparait dans son attention portée aux êtres et aux choses qui fait de son film un véritable chant du monde superbement mis en image et en musique respectivement par Laurent Brunet et Michael Galasso, récompensés hier soir par deux Césars.
Et tout en regrettant que seuls les temps de crise permettent le triomphe de la poésie, on peut se réjouir, au moins pour le moment, que la morosité ambiante favorise le succès de la contemplation plutôt que celui de la peur de l’autre.
PS : la cérémonie a aussi récompensé deux chef-d’oeuvres poétiques et engagés, Les plages d’Agnès d’Agnès Varda, César du meilleur documentaire, magnifique méditation sur le désir et le temps, et Valse avec Bachir d’Ari Folman, César du meilleur film étranger, film d’animation sur le difficile travail de mémoire d’un ancien soldat israélien de la guerre du Liban dans les années 80.