Juno, ou le plaisir d’être enceinte

 “Je veux sentir mon ventre et mes seins gonfler. Sentir les mains d’un homme amoureux sur mon ventre. « Malheur aux filles qui croient en l’amour » disait Maman. T’avais qu’à pas épouser mon crétin de père.

Mathieu Tuffreau, La rose des sables

 Juno de Jason Reitman fait partie de ces rares films qui sont meilleurs que leur bande-annonce, le contraire étant hélas souvent vérifié. La bande-annonce voudrait nous faire croire à une bluette sentimentale pour adolescents, ayant peur sans doute de susciter des sentiments adultes chez le spectateur, alors que Juno raconte, comme le dit l’héroïne à la fin du film, tout bêtement l’histoire de deux adolescents qui comprennent qu’ils sont amoureux l’un de l’autre une fois qu’ils se sont reproduits. 

 Nous ne livrerons pas ici l’avenir du bébé de cette adolescente de seize ans (Ellen Page) qui fait mine de se pendre avec une corde en bonbon une fois qu’elle apprend qu’elle est enceinte du mec le plus neuneu du lycée. Mais j’éprouve un grand plaisir à raconter le bonheur que prend cette toute jeune femme à affronter le regard que toute sa communauté portera sur sa grossesse, depuis ses parents, consternés, mais finalement rassurés (sa belle-mère “aurait préféré qu’elle se drogue”) jusqu’à ses camarades de lycée, en passant par la gynécologue ou les parents candidats à l’adoption. 

 Il faut aussi voir l’éclair dans les grands yeux d’oiseau perdu de la mère candidate à l’adoption (“née pour être mère”, selon ses propres mots), interprétée par Jennifer Garner, lorsqu’elle caresse le ventre de Juno et sent vivre son enfant. 

 Enfin, Juno est un film pour les femmes, où les hommes, à l’exception du père de Juno qui a une remarque imparable (dont la bande-annonce, décidément infidèle, coupe le meilleur: “le mieux est que tu trouves une personne qui t’aime vraiment, pour elle, même ta merde sentira la rose”), sont une bande de grands enfants irrécupérables. Finalement, Juno est un film éminemment contemporain en ce qu’il souligne que les hommes vont devoir accomplir un énorme boulot pour arriver à la cheville des femmes.

Clint Eastwood : on prend toujours la place de quelqu’un

 “It’s a hell of a thing to kill a man. You take everything he’s got, and everything he’ll ever have.”

Clint Eastwood, Impitoyable (“C’est abominable de tuer quelqu’un, tu prends tout ce qu’il a, et tout ce qu’il aura jamais”).

 Clint Eastwood a depuis longtemps délaissé son poncho de cowboy, mais le réalisateur a conservé l’ambiguïté des rôles que lui donnait Sergio Leone dans ses westerns spaghettis, pour devenir, au même titre qu’Alfred Hitchcock, Stanley Kubrick ou Claude Chabrol, l’un des grands cinéastes contemporains de l’inquiétude.

 – les conséquences de la mort d’un proche : La plupart des films de Clint Eastwood analysent la manière dont des individus réagissent à la violence dont ont été victimes leurs proches. Cette interrogation traverse tous ses westerns (Josey Wales a perdu sa famille, le héros d‘Impitoyable défend une prostituée défigurée par deux de ses clients), ses films noirs (dans Mystic River, Sean Penn se fait justice sur celui qu’il prend pour le meurtrier de sa fille) et ses drames (dans Million dollar baby, l’entraîneur de boxe Clint Eastwood se retire de la course après la mort de son poulain interprété par Hillary Swank). 

 – les conséquences des incertitudes du coeur : En cinéaste moraliste au même titre que Stanley Kubrick, Clint Eastwood représente l’adultère comme un danger. Son premier film en tant que réalisateur, Un frisson dans la nuit (1971), place son personnage, un animateur de radio, dans les griffes d’une admiratrice psychopathe. Sur la route de Madison (1995) raconte l’histoire d’une femme interprétée par Meryl Streep, qui reste avec son mari agriculteur et leurs enfants plutôt que de partir avec l’homme qu’elle aime (interprété par qui ?), photographe au National Geographic. 

 “Old dreams are good dreams”, “les vieux rêves sont de beaux rêves”, dit le photographe de Sur la route de Madison à la femme qu’il aime, et qui craint d’avoir renoncé à ses rêves de jeunesse. L’imaginaire plus fort que les rêves, n’est-ce pas la quintessence du rôle du cinéma ?

Billy Wilder : comment montrer ses sentiments à ceux qu’on aime

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1. Le public est inconstant. 2. Prenez-les à la gorge et ne les lâchez pas. 3. Déterminez une ligne d’action claire pour votre protagoniste. 4. Sachez toujours où vous allez. 5. La marque du bon scénariste est de savoir masquer les ressorts de l’intrigue avec subtilité et élégance”.

Conseils aux scénaristes, Billy Wilder (1906-2002)

 

La sortie d’une copie neuve de La vie privée de Sherlock Holmes, hilarante rareté datant de 1970, nous rappelle que le réalisateur américain d’origine autrichienne Billy Wilder s’est sans cesse préoccupé, en abordant les grands genres du cinéma hollywoodien (comédie, comédie romantique, film noir, drame), de la manière dont les personnes amoureuses manifestaient leurs sentiments.

– Accepter les défauts : “nobody’s perfect”, bien sûr, “nul n’est parfait”, la dernière réplique de Certains l’aiment chaud (1959, avec Marylin Monroe), dans lequel Jack Lemmon, déguisé en femme pour échapper à la mafia de Chicago, fait craquer un vieux milliardaire qui, lorsque le comédien lui apprend son identité d’homme, n’y trouve rien à redire. A la fin de La garçonnière (1960), le même Jack Lemmon pardonne à Shirley Mc Laine de l’avoir délaissé pour lui préférer un temps son cynique patron.

– Reproduire les signes : A la fin de La vie privée de Sherlock Holmes, le célèbre détective, que tout le monde soupçonnait d’être homosexuel, s’effondre en apprenant la mort d’une espionne allemande (Geneviève Page) qu’il avait démasqué. Celle-ci a été exécutée au Japon, où elle opérait en portant le même nom que celui utilisé en Grande-Bretagne, lorsqu’il travaillait avec elle et la faisait passer pour sa femme.

– Pardonner les erreurs : Dans Assurance sur la mort (1944), l’un des joyaux du film noir, Fred MacMurray est un commis en assurance qui a tué par amour pour une femme fatale (Barbara Stanwyck, qui arbore un sourire proche de l’orgasme lors de la mort de son mari). La jolie assurance vie du mari doit être payée par le patron, et également ami (Edward G. Robinson), du commis. Au seuil de la mort, il s’excuse auprès de son patron de ne plus pouvoir travailler avec lui. “Je perds plus qu’un ami” répond l’autre, qui lui pardonne. “I love you too”, dit Fred Mac Murray.

Enfin, on doit à Billy Wilder l’une des plus belles et des plus cruelles scènes de cette histoire récente du cinéma. Dans Boulevard du Crépuscule (Sunset Boulevard, 1950), la star déchue du cinéma muet Norma Desmond (Amis scénaristes, essayez de trouver un nom de ce tonneau-là !), interprétée par Gloria Swanson est arrêtée pour meurtre par la police, devant une foule de reporters. On lui fait croire une dernière fois que les feux des projecteurs attendent l’actrice, et non la criminelle. A-t-on jamais allié au cinéma avec une telle puissance la cruauté au sublime ?

La route de Cormac Mc Carthy : la Terre a-t-elle besoin de l’Homme ?

“On me dit que l’homme n’a pas besoin de livres, mais la terre n’a pas non plus besoin de l’Homme”.

Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?

“L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente… Si ces dispositions venaient à disparaître comme elles sont apparues, … alors on peut bien parier que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable.”

Michel Foucault, dernière phrase de Les mots et les choses

Le lyrisme et la simplicité du roman de Cormac McCarthy, prix Pulitzer 2007, également auteur du roman qui a inspiré le dernier film des frères Coen (No country for old men), sont les plus belles nouvelles que nous envoie le monde littéraire depuis longtemps. Cette histoire de deux survivants, un père et son fils, à une apocalypse dont nous ne connaîtrons pas la raison (nous remercions l’auteur de nous éviter le prêche écologiste à la mode, les dégâts de l’homme sont suffisamment éloquents dans le roman, et comme dit Truffaut, “on ne va pas au cinéma pour mettre un bulletin dans l’urne”), nous fait traverser les paysages désertiques des Etats-Unis selon la grande tradition du roman américain de Jack London, William Faulkner et Kerouac.

On imagine que le cinéma aura tôt fait de s’emparer de cette histoire d’anticipation adulte, où le père fait ce qu’il peut pour préserver son fils de la barbarie des derniers survivants qu’ils croisent au cours de leur marche vers l’océan, comme autrefois Antoine Doinel dans Les quatre cents coups. Le romancier nous fait partager le plaisir de ses héros lorsqu’ils trouvent, affamés, dans des bâtiments en ruine, un bocal de poires ou une boîte de thé. Cormac McCarthy a l’intelligence de dépasser la peur de l’extinction de l’homme (péché courant dans la science-fiction et l’anticipation) pour nous raconter un monde qui retourne progressivement vers son mystère originel. Certains crieront sans doute à la naïveté du bon sauvage dont rêvait Jean-Jacques Rousseau, mais les grands auteurs contemplatifs, Ibn Khaldoun, Jean-Jacques Rousseau, Chateaubriand et Cormac McCarthy savent que la bonté est le premier acte de résistance à la barbarie.

Ratatouille est-il le meilleur film de l’année 2007 ?

Chaque fois, la lâcheté qui nous détourne de toute tâche difficile, de toute oeuvre importante, m’a conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à mes ennuis d’aujourd’hui, à mes désirs de demain qui se laissent remâcher sans peine.

Et tout d’un coup, le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray, quand j’allais lui dire bonjour dasn sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté.”

Marcel Proust, Du côté de chez Swann

On sait que les grands films sont ceux qui transforment la vision que l’on a d’un objet, d’un milieu ou d’un peuple : on voit différemment le désert depuis Lawrence d’Arabie, les hommes-bêtes depuis La belle et la bête, les douches depuis Psychose, l’océan depuis Les 400 coups, l’espace depuis 2001 L’Odyssée, les hélicoptères depuis Apocalypse now, et on peut imaginer que Ratatouille modifiera l’image des petites bêtes poilues qui colonisent les égouts. Il est amusant que le vendeur de ratières qui expose des cadavres de rat en vitrine près des Halles à Paris, et qui a inspiré le magasin de pièges à rat que l’on voit dans le film, se fasse traiter, depuis la sortie de Ratatouille, d’assassin par les enfants.

Dans un pays qui fait souvent passer au cinéma l’amour du discours avant celui de l’image, il est important de noter que les grands sentiments de Ratatouille (un apprenti cuisinier égaré dans un grand restaurant en deviendra le chef grâce à la complicité d’un rat féru de grande cuisine) ne se font jamais au détriment de l’art de conter.

Lorsque l’abominable critique gastronomique Anton Ego (dont la voix anglaise est Sir Peter O’Toole-Lawrence d’Arabie) goûte à la ratatouille concoctée par le rat-cuisinier, et que ce goût s’associe au souvenir de sa mère qui lui avait préparé la même ratatouille après qu’enfant il soit tombé de vélo, Brad Bird et le studio Pixar nous en apprennent autant sur la célèbre madeleine de Marcel Proust que sur le cinéma.

Dans une année 2007 au cours de laquelle les grands cinéastes ont rivalisé de noirceur, Ratatouille nous rappelle qu’un film peut être chorégraphié et transformer en seigneur la plus petite créature du monde, comme dans un film de Charlie Chaplin, et convoquer nos cinq sens et réveiller les plus beaux souvenirs que l’on croyait à jamais perdus, comme un roman de Marcel Proust.

 

Filmer le désert de Lawrence d’Arabie (1962) à Gerry (2004)

 

Lawrence d'Arabie et son chameau

Le désert est le milieu de la révélation, il est génétiquement et physiologiquement autre, sensoriellement austère, esthétiquement abstrait, historiquement hostile… Les prophètes et les ermites vont dans le désert. Les exilés et les pèlerins le traversent. C’est ici que les fondateurs des grandes religions ont cherché les vertus spirituelles et thérapeutiques de la retraite, non pour fuir mais pour trouver le réel.

Paul Shepard, L’homme dans le paysage

J’ai compris en faisant il y a quelques années du stop dans le désert du Sinaï (en Egypte pour les fâchés de la géographie) la fascination qui poussait les hommes des vallées à contempler les étendues désertiques. Les bédouins qui m’ont pris en stop ont eu le temps de m’apprendre qu’il y avait des manifestations en France contre l’extrême-droite qui était au second tour des élections présidentielles. Ils m’ont laissé à un coude de la route du Monastère Sainte-Catherine (où Moïse aurait reçu les tables de la loi) car ils s’enfonçaient dans le désert. Je suis resté quelques heures au milieu de nulle part, avant d’être pris en stop par des Suisses en vadrouille. La rencontre avec le désert est une émotion dont nul ne se remet.

– L’origine du monde : Dans Lawrence d’Arabie, Peter O’Toole, qui interprète le célèbre officier anglais qui prit fait et cause pour l’union des peuples arabes et le roi Fayçal contre les Turcs et les puissances occidentales, explique à un journaliste qu’il aime le désert car il trouve cet endroit propre. Le film de David Lean nous offre les plus belles images produites par le cinéma pour le désert. L’arrivée d’Omar Sharif dans un mirage de soleil, la recherche de l’homme perdu au milieu d’une étendue de sable dur, mais surtout le célèbre raccord où le visage de Peter O’Toole, qui souffle une alumette, donne place au lever du soleil, n’ont pas d’équivalent. 

Il est probable que Stanley Kubrick rend hommage à Lawrence d’Arabie lorsqu’il ouvre 2001, l’Odyssée de l’espace (1968) par les étendues désertiques dans lesquelles l’homme maîtrise l’outil, avant de partir à la conquête de l’espace et du temps.

– Le paradis perdu : Lawrence d’Arabie a créé d’innombrables émules, de Steven Spielberg (Indiana Jones) à Sydney Pollack (Out of Africa) en passant par Georges Lucas (La guerre des étoiles), qui ont recherché, dans les années 80, une image du paradis perdu dans le désert. Leurs personnages viennent tous y chercher un réconfort aux désillusions de la vie (Meryl Streep dans Out of Africa) ou le sens d’une vie (Indiana Jones et Luke Skywalker).

– Un lieu de perdition : L’évolution de la société en un terreau de peurs au cours des années 90 et surtout depuis le début des années 2000 a amené les cinéastes à représenter le désert comme un lieu où l’on se perd, comme dans Le patient anglais, où Ralph Fiennes y abandonne sa bien aimée (Kristin Scott Thomas), et Gerry, de Gus Van Sant, où Matt Damon s’égare en compagnie de Casey Affleck qui n’y survivra pas.

Vite, qu’un cinéaste renouvelle ce thème et plonge notre âme dans l’étendue des paysages qui se forment et se déforment à l’infini.

 

Noire Amérique

L’Amérique n’a jamais été innocente. C’est au prix de notre pucelage que nous avons payé le passage, sans un regret sur ce que nous laissions derrière nous”

 James Ellroy, préface à American Tabloïd

 Il n’y a pas besoin d’avoir fait Sciences Po pour comprendre que l’Amérique a mal a le Bush, mais il est étonnant de constater à quel point les nouvelles que nous envoie ce pays depuis un an sont sombres : 

 Un tueur en série qui prend son plaisir en provoquant des accidents de voiture (Kurt Russell dans Boulevard de la mort de Quentin Tarantino), un flic russe qui adopte la même violence que la mafia qu’il infiltre à Londres (Viggo Mortensen dans Les promesses de l’ombre de David Cronenberg), deux frères prêts à commettre un meurtre pour gagner de l’argent (Ewan McGregor et Colin Farell dans Le rêve de Cassandre de Woody Allen), un directeur de discothèque un peu mafieux qui marche dans les pas de son père policier après la mort de celui-ci (Joaquin Phoenix dans La nuit nous appartient), un loser qui tente en vain d’échapper à un tueur en série dans les étendues désertes du Texas (Josh Brolin et Javier Bardem, qui prouve qu’une coiffure ridicule peut faire un excellent méchant dans No country for old men des Frères Coen), et un barbier vengeur prêt à égorger la moitié de Londres pour obtenir satisfaction (Jhonny Depp dans Sweeney Todd). 

 On n’avait pas assisté à un tel déchaînement depuis les années 70 (Scorsese, Coppola, Cimino, Spielberg, Lucas, Woody Allen) et le ras-le-bol des années Nixon, de la guerre du Vietnam et du Watergate. Il ne reste plus qu’à espérer que le cynisme de l’actuel gouvernement français donnera naissance à pareille révolution artistique dans notre pays.

 

Lust, Caution d’Ang Lee, ou le temps du cinéma sous l’occupation

lust.jpgLa guerre en Irak nous rappelle quotidiennement que dans les conflits modernes, la victoire militaire est moins difficile que l’occupation d’un peuple contre son gré. Il semblerait que ce conflit meurtrier, déclenché pour d’obscures motivations idéologiques et financières par l’actuel président des Etats-Unis, ait renouvelé le genre du film de guerre en l’étendant à ce sous-genre mal-aimé qui est le film sous l’occupation.

Lust, Caution d’Ang Lee (cinéaste sino-américain de Tigre et dragon et Le secret de Brodeback Mountain) nous raconte, de Hong-kong à Shanghaï sous l’occupation japonaise de la Chine pendant la seconde guerre mondiale, le complot d’un groupe d’étudiants pour assassiner un éminent collaborateur, interprété par Tony Leung Chiu Wai (qui s’est spécialisé depuis In the mood for love dans les regards en deux temps lorsqu’il quitte la compagnie d’une femme, 1. “elle est belle” 2. “Mon dieu qu’elle est belle !”).

Mâtiné d’érotisme un brin suranné, que ne désavouerait pas l’autre Tony Leung, Tony Leung Ka Fai (L’amant du film homonyme de Jean-Jacques Annaud, star du cinéma d’action hong-kongais), Lust, Caution évoque finalement les risques de la désobéissance civile (puisque la résistance à l’occupant est un métier dangereux) ainsi que les confusions de sentiment inhérents au métier d’agent double, car la jolie jeune étudiante du groupe est chargée de séduire Tony Leung pour l’entraîner dans un endroit non surveillé en vue de le tuer.

L’an dernier, Paul Verhoeven (Robocop, Total Recall) racontait dans Black Book l’histoire d’une résistante juive amenée à séduire un officier allemand durant l’occupation des Pays-Bas. La même année, Le labyrinthe de Pan évoquait la résistance d’un groupe de Républicains espagnols contre la barbarie franquiste (inoubliable Sergi Lopez en capitaine sadique).

Nul n’est apte à répondre sur ce qu’il ferait dans l’éventualité où son pays était occupé, ou soumis à la barbarie, mais ces films ont le mérite de rappeler la question posée par un agriculteur résistant de la région de Clermont-Ferrand, dans le documentaire Le chagrin et la pitié, consacré à l’occupation de la France durant la seconde guerre mondiale : “Ils me disent, “mais Monsieur, on savait pas où étaient les résistants”. Alors pourquoi moi, le pauvre couillon de paysan, je savais ?”

Elle et lui de Leo McCarey (1938 et 1957) : se créer de beaux souvenirs

Il existe deux versions du beau film d’amour de Leo McCarey, An affair to remember (en français Elle et lui) la première datant de 1938, en noir et blanc, avec Charles Boyer (l’un des acteurs français qui a connu le succès dans le cinéma hollywoodien) et Irene Dunne, la seconde de 1957, en couleurs, avec Cary Grant et Deborah Kerr.

Elle et lui est l’histoire de deux coeurs qui apprennent à s’apprivoiser malgré les barrières sociales et les différences. Les deux personnages se rencontrent lors d’une croisière. Il est un playboy prêt à se marier, sans doute par lassitude (et dans ce rôle, Cary Grant est supérieur à Charles Boyer), elle est une jeune femme exigeante et libre, qui prépare un beau mariage. Bien entendu, leur rencontre contrarie ces belles perspectives, et ils se donnent rendez-vous six mois après leur rencontre à l’Empire State Building, pour prouver que leur amour aura survécu à l’impatience et à l’usure du temps. Mais comme il est bien connu que la vie bousille et transforme les scénarios que nous échafaudons, la belle ne pourra se rendre au rendez-vous…

Le sens du film nous est livré lorsque Cary Grant propose, alors que le bateau de la croisière fait escale à Villefranche, à Deborah Kerr de rencontrer sa grand-mère qui y réside. L’espiègle Janou accueille les jeunes gens comme s’ils étaient le couple qu’elle aurait rêvé pour son petit-fils. Alors que Deborah Kerr s’émerveille de la beauté de la maison qui surplombe la Méditerranée, Janou réplique : “c’est un endroit agréable pour convoquer ses souvenirs. Mais pour cela, il faut commencer par s’en créer.”

Le but d’une vie serait-il de se créer de beaux souvenirs ? Elle et lui nous rappelle finalement la fragilité de nos existences et la chance de rencontrer les personnes que l’on aime. Et il n’est sans doute pas de plus belle aventure cinématographique qu’un battement de coeur.