
Le cinéaste danois provocateur avait-il conscience de l’importance de son film au point de vouloir le brûler ou de se suicider artistiquement avec ses propos répugnants au Festival de Cannes ? Cette polémique qui donne une publicité à la bêtise du cinéaste ne nous intéresse pas. Nous préférons nous laisser bercer par la puissance cosmologique de l’ouverture de Melancholia au crépuscule du monde sur la musique de Tristan et Isolde de Wagner : une planète inconnue (Melancholia) cachée derrière le soleil s’approche de la terre qu’elle va percuter, une femme en robe de mariée tente de courir alors que ses jambes sont retenues par des fils de laine, la même dont les mains et les cheveux sont attirés vers le ciel par des flux électrostatiques contemple la fin du monde, sa soeur (Charlotte Gainsbourg) s’enfonce dans le sol en train de fondre d’un terrain de golf.
Melancholia réussit là où Tree of life échouait, en s’étonnant devant le mouvement et l’unicité du monde plutôt que de nous proposer un refuge métaphysique et suprasensible confortable promis par Platon, et dont Terrence Malick faisait le refuge grand-guignol de ses personnages après la mort. Les héros de Lars von Trier, héros au sens mythologique, demi-dieux, daimon en grec avec toute l’ambiguïté de ce terme qui a donné démon en français, assouvissent nos rêves dans ce mariage catastrophique où tout sera dit : mépris pour le patron assoiffé de pouvoir (Stellan Skarsgard de Breaking the waves, l’autre très grand film du cinéaste danois), de la mère (Charlotte Rampling) envers l’hypocrisie du mariage bourgeois, de la femme (Kirsten Dunst, divine) pour le mari mou qu’elle trompe aux yeux de tous les convives.
Lars von Trier nous offre avec Melancholia une tragédie de notre temps à l’aune de la catastrophe environnementale vécue par le Japon et de la crise de la dette publique due à la volonté de la sphère de la finance de diminuer le pouvoir de la sphère publique. En écho à Nostalghia d’Andreï Tarkovski, le maître du cinéaste danois, Lars von Trier filme le crépuscule du monde comme une ultime valse panthéiste où nous éprouvons avant le clap final le plaisir de caresser un sein, d’uriner dans l’herbe et de contempler le mouvement de l’univers. O mélancolie, moment où nous nous rappelons par le langage et les sens de tout ce que nous sommes redevables de la Grèce !